Emblème Aigle Impériale

Il n’était guère plus de dix heures à ce moment, et déjà, par cette brusque attaque, l’armée russe se trouvait gravement compromise. Son centre était séparé de sa gauche, devenue en quelque sorte étrangère à l’action générale. Kutusoff comprit qu’il lui fallait à tout prix reprendre le plateau de Pratzen. Quoique blessé d’une balle à la joue, il se jette au milieu de ses colonnes en désordre et cherche à les rallier. 

                                                                 

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 Miloradowitch et Kollowrath joignent leurs efforts aux siens. L’empereur Alexandre accourt lui-même encourager ses soldats de sa présence et de sa parole. Il fait avancer sa garde pour servir de point de ralliement à son centre en déroute. Dès que celui-ci sera reformé, le grand-duc Constantin a l’ordre de se porter aussitôt en avant, et de rétablir de vive force les communications avec l’aile gauche de Buxhœwden. Le grand-duc part au galop pour exécuter ces instructions :le salut de l’armée russe en dépend.

IX

Les uhlans du grand-duc Constantin contre la division Caffarelli et le général Kellermann.-Mort de leur commandant, le général Essen.— Mèlée générale de la cavalerie, suivie d’un véritable combat à coups de canon. -Les tambours du 15eme léger emportés par une volée de mitraille. -Le général Valhubert blessé mortellement.—Sa lettre à l’Empereur.—Prise du village de Blazowitz par le colonel Castex, du 13ème léger. —Il est tué. -Terrible charge des cuirassiers français. La cavalerie ennemie culbutée et dispersée. —Ténacité des fantassins de Bagration. Nouvelle charge des cuirassiers d’Hautpoul.-Victoire du maréchal Lannes.

C’était tout à la fois un terrible et majestueux spectacle que celui de ce grand drame qui se déroulait sous les yeux des trois empereurs de l’Europe. Près de quatre cents pièces de canon mêlaient leurs voix imposantes aux détonations précipitées de la mousqueterie. Les hommes se heurtent contre les hommes, les chevaux contre les chevaux. Le plomb, le fer, l’acier, provoqués partout, répondaient de partout, et promenaient la mort de rang en rang, sur une étendue de plus de trois lieues. Au premier coup de canon tiré des hauteurs de Pratzen, le maréchal Lannes marcha droit devant lui, ayant à sa gauche la division Suchet, à sa droite la division Caffarelli, appuyée par la cavalerie de Murât. Le terrain, uni et spacieux de ce côté, se prêtait admirablement aux évolutions de la cavalerie. Le prince de Lichtenstein y avait rangé ses nombreux escadrons, attendant que nous fussions à portée pour les lancer sur nous. Dès qu’il croit le moment venu, il détache les uhlans du grand-duc Constantin sur la division Caffarelli.

Le général Kellermann semble d’abord les attendre de pied ferme: mais, tournant bride tout à coup, il passe dans les intervalles de nos bataillons et va se reformer à leur gauche. Au lieu de notre cavalerie légère, les uhlans rencontrent une ligne de baïonnettes serrées d’où sort un feu épouvantable. Quatre cents de ces cavaliers sont, à la première décharge, couchés par terre; leur chef, le général Essen, est atteint mortellement. C’est alors que Kellermann, pour achever ce qui reste de ce régiment, s’élance avec quelques-uns de ses escadrons. De son côté, le prince de Lichtenstein en envoie d’autres; du nôtre, les dragons Waltheret Beaumont partent au trot: l’action devient générale. Les chevaux s’entrechoquent, les sabres se croisent et retentissent sur les casques; on se charge de part et d’autres avec le même élan, avec la même furie. Bientôt ce n’est plus qu’une affreuse mêlée où personne ne commande, où chacun combat pour son propre compte. Enfin, de lassitude et d’épuisement, toute cette masse de combattants s’éclaircit peu à peu, et le champ de bataille apparaît alors jonché de débris d’armes, de cadavres de chevaux et d’hommes expirants.

Charge de Cuirassiers

Notre infanterie s’avance en colonnes serrées pour se mesurer à son tour sur ce terrain ensanglanté. Les Russes la laissent approcher à distance, et, démasquant tout à coup une batterie de quarante bouches à feu, nous couvrent de mitraille et de boulets. Le 13e léger a toute la ligne de ses tambours emportée. Notre artillerie riposte aussitôt, et l’on voit tomber, sous cette décharge, des rangs entiers: c’est un véritable combat à coups de canon. Le général de brigade Roger de Valhubert a la jambe fracassée par un boulet. Blessé du même coup, son cheval se cabre et le général tombe entre les bras de ses soldats; ils veulent le porter à l’ambulance; « Rappelez vous, leur dit-il, l’ordre du jour; ne quittez pas vos rangs; si vous revenez vainqueurs, vous me relèverez après la bataille; si vous êtes vaincus, que m’importe la vie.

Blessure du Général de brigade Roger de Valhubert le 3 decembre 1805
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Le général Valhubert mourut des suites de sa blessure, trente heures après la bataille.
« J’aurais voulu faire plus pour vous, écrivait- il de sa main défaillante à l’Empereur ; dans une heure j’aurai cessé de vivre. Je ne regrette pas la vie, puisque j’ai participé à une victoire qui vous assure un règne heureux. Quand vous penserez aux braves qui vous étaient dévoués, souvenez vous de moi. Il me suffit de vous dire que j’ai une famille; je n’ai pas besoin de vous la recommander . »La recommandation était, en effet , inutile .Ces dettes- la furent toujours sacrées pour Napoléon.

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Cependant, au milieu de cette épouvantable canonnade, nous gagnions insensiblement du terrain et nous touchions au village de Blazcwitz. Nos boulets et nos obus y avaient mis le feu, mais les Russes s’y maintenaient ,et, cachés par les replis du ravin au fond duquel est posé ce village, ils faisaient sur nos colonnes un feu très meurtrier. Le colonel Castex, du 13e léger, parvint néanmoins à s’emparer de la position; malheureusement, il paya ce succès de sa vie. Trois autres villages, Holubitz, Krüch et Bosemtz, restaient  encore à enlever sur notre extrême gauche; ils ne tardèrent pas à tomber entre nos mains. Alors, rompant sa ligne de bataille, le maréchal Lannes porta obliquement à gauche la division de Suchet, obliquement à droite la division de Caffarelli, de manière à séparer complètement l’infanterie de Bagration de la cavalerie du prince de Lichtenstein et à isoler leurs mouvements. En vain Lichtenstein, qui a deviné l’intention du maréchal, vient se ruer avec tous ses escadrons sur la division Caffarelli ; il trouve dans nos baïonnettes un rempart d’airain. Trois fois il renouvela son attaque, et trois fois il fut repoussé avec perte. Il s’apprêtait à revenir une quatrième fois; mais déjà l’ordre était donné aux deux divisions des cuirassiers Nansouty et d’Hautpoul de s’avancer et de balayer toute la plaine.

Ces terribles cavaliers, ces hommes de fer, comme on les appelle en Allemagne partent au trot, la latte au poing. Arrivés à distance, la charge sonne, et l’on voit se lancer, au plus fort galop de leurs chevaux, ces quatre à cinq mille combattants. La terre tremble au loin sous leurs pas. On dirait d’un ouragan de fer et de feu. Déjà la première ligne ennemie est rompue et culbutée. La seconde essaie d’une résistance plus opiniâtre, mais elle ne peut tenir davantage devant la furie française, et bientôt ces nombreux escadrons autrichiens et russes s’enfuient dans le plus grand désordre, pour ne plus réapparaître de la journée.

Le maréchal Lannes se trouvait maître de toute la plaine à sa droite. Il n’en était pas de même à sa gauche, où Suchet avait a lutter contre la ténacité des fantassins de Bagration: semblables à ces murailles hérissées de pointes en fer sur lesquelles on ne peut impunément porter la main, ils nous tenaient à distance. Nous les poussions vigoureusement ,mais sans pouvoir les entamer. Cependant, le maréchal, impatient d’en finir, vient d’appeler à lui la division d’Hautpoul. Ces braves accourent ,conduits par d’Hautpoul lui-même, et tombent avec leur impétuosité irrésistible sur toutes ces masses russes groupées en gros pelotons séparés, mais se prêtant un mutuel appui. Plusieurs de ces pelotons sont aussitôt enfoncés et sabrés; d’autres, entourés par nos escadrons qui tournoyaient en tous sens autour d’eux, mettent bas les armes. Bagration précipite alors sa retraite et nous abandonne le champ de bataille. De toute son infanterie, et de cette belle et fière cavalerie de Lichtenstein que Lannes avait en face de lui le matin, il ne restait plus, à cette heure, un seul combattant en ligne. Nous avions fait plus de quatre mille prisonniers et tué à l’ennemi deux à trois mille hommes, sans compter les blessés. C’était une véritable bataille que Lannes avait gagnée en personne, un magnifique triomphe dont tout l’honneur lui revenait.

X

Reprise acharnée du combat sur notre centre. — Prodiges de valeur des brigades Thiébault et Morand. — Le colonel du 10e léger et le général Saint-Hilaire. – En avant! à la baïonnette! – Le 4e de ligne surpris par les chevaliers-gardes.- Le général Rapp. — Charge des mameluks et des chasseurs à cheval de la garde. — Mort du colonel Morland. — Le maréchal Bessières et les grenadiers à cheval -Prise de Krasnowitz .- Déroute des austro-Russes.

Nous en avions fini sur notre gauche ; mais le combat s’était renouvelé au centre avec acharnement. Napoléon venait d’amener au maréchal Soult les vingt-cinq mille hommes qu’il gardait auprès de lui. De son côté, Kutusotf, qui était parvenu à reformer ses troupes sous la protection de sa réserve et de quarante pièces d’artillerie, et à retirer en outre quelques-uns des régiments de son aile gauche, faisait d’incroyables efforts pour reprendre le plateau de Pratzen , sentant bien que c’était la clé de sa position.


Ce fut la brigade Thiébault, formant, avec le 10e léger commandé par le général Morand, la droite de la division Saint-Hilaire, qui eut à soutenir ce nouveau choc des Austro-Russes. Elle se trouva pendant quelques instants dans une position des plus critiques, obligée à la fois de faire face aux Russes , sur son flanc droit; aux Autrichiens sur son front de bataille. Il lui fallut, au milieu de cette équerre de feu, se former en potence pour tenir tête aux assaillants; mais, bien inférieure en nombre, elle se fondait peu à peu sous les balles ennemies. Le général Saint-Hilaire, quoique blessé depuis le commencement de l’action, courait d’un régiment à l’autre encourager chaque soldat par ses paroles énergiques.

— Mon général, lui crie le colonel du 10e léger, le brave Pouzet, commandez de marcher à la baïonnette, sans quoi nous sommes perdus.
—Eh bien! à la baïonnette, mes enfants!
Et ce cri retentit sur toute la ligne: «En avant! à la baïonnette!» On s’avança alors tête baissée sur les Russes et on les rejeta dans les bas-fonds de Telnitz; les Autrichiens furent également refoulés jusque sur la route d’Austerlitz.

Pour la seconde fois nous occupions le plateau à la droite de Pratzen. A la gauche de ce village, la brigade Varé et la division Vandamme venaient aussi de repousser les Austro-Russes; mais, dans l’ardeur guerrière qui animait nos troupes, le 1er bataillon du 4e de ligne s’était laissé aller beaucoup trop loin. Le grand duc Constantin envoya aussitôt un escadron des chevaliers-gardes avec quatre pièces, pour lui couper la retraite. Surpris avant d’avoir pu se former en carré, ce bataillon est culbuté et sabré; le porte-drapeau est tué. Un sous-officier, qui se précipite pour sauver l’aigle, est atteint mortellement à son tour; un autre a le même sort, et les cavaliers de Constantin restent maîtres de ce glorieux trophée. La confusion du combat et les nuages de fumée qui s’élevaient  de partout empêchèrent le bataillon de s’apercevoir de la perte de son aigle. Napoléon, qui suivait avec attention tous les mouvements de son armée , se tourne aussitôt vers Rapp, et lui indiquant de la main l’endroit où se passait cette échauffourée: « Courez vite
là-bas, lui dit-il, et réparez ce désordre. » Rapp part comme un trait avec les mamelucks et les chasseurs  a cheval de la garde impériale. Sans être arrêté par une décharge à mitraille, il fond sur la cavalerie de Constantin, et délivre le bataillon du 4e de ligne, qui court venger son échec en enlevant deux drapeaux à l’ennemi. Mais Rapp est aussitôt assailli par le régiment tout entier des chevaliers-gardes; en même temps, une batterie russe prenait en écharpe les chasseurs de la garde. Leur colonel, le brave Morland, est tué; le désordre se met dans les  » rangs ; les chasseurs sont ramenés. Heureusement, le maréchal Bessières suivait avec les grenadiers à cheval .

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Ces vieux soldats de l’ancienne garde consulaire, jaloux d’inaugurer en ce jour leur titre de garde impériale, eurent bientôt écrasé et dispersé les brillants cavaliers d’Alexandre, enlevé leur étendard, et fait prisonnier leur commandant ,le prince Repnin. Le grand-duc Constantin lui-même ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval. Dans  le même moment, le colonel Gérard (depuis maréchal de France), alors aide de camp de Bernadotte, débouchait sur le plateau de Pratzen avec trois régiments tout frais empruntés à la division Drouet. Il abordait avec une énergique bravoure l’infanterie de la garde russe, et, après une lutte opiniâtre, la refoulait jusque dans le village de Krasnowitz. On s’y battit avec fureur pendant quelque, temps; mais les Russes furent contraints de nous céder ce village, et nous abandonnèrent un nombre considérable de prisonniers. Il était environ deux heures. La victoire était complètement assurée, et l’ennemi en pleine retraite sur tous les point excepté sur sa gauche.

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XI

Napoléon marche avec la garde, les grenadiers Oudinot et le corps de Soult contre la gauche des Austro-Russes.— Désastre affreux de ces derniers. — Les trophées de la victoire. -Admirable bravoure de nos soldats.—Le 4e et le 14e de ligne; les 17e,33e,36e,40e,43e, 48e et 53e de ligne; les 10e ,13e et 15e légers.—Proclamation de l’Empereur à l’armée pour lui témoigner son contentement. —Pensions, gratifications et récompenses qu’il lui accorde. — Le 4e de ligne et son aigle.—Deux drapeaux pour un ! —Les vieilles moustaches.

Napoléon laisse sur le plateau les divisions Drouet et Rivaud, prend à droite, par le chemin même que les trois colonnes russes ont suivi le matin, et se transporte rapidement avec la garde, les grenadiers Oudinot et le corps de Soult, sur les derrières de l’aile gauche ennemie, commandée par Buxhœwden. Il était temps, car le maréchal Davout et le général Friant, qui, depuis le commencement de la journée, avaient eu à soutenir dix charges successives de toutes les forces réunies de Buxhœwden, se voyaient à la veille de succomber ,malgré les plus héroïques efforts. Le brave Friant avait eu quatre chevaux tués sous lui.

 


A peine l’Empereur paraît-il, que soudain tout change de face. La terreur gagne les Austro-Russes une horrible confusion se produit dans toutes leurs divisions. Le lieutenant général Pribyschewski est fait prisonnier avec six mille hommes, dans la vallée de Sokolnitz. Deux autres colonnes tombent également entre nos mains ,l’une près des marécages de Kobelnitz, l’autre sur la route même de Brunn, où les coalisés s’étaient donné rendez-vous après la victoire. Buxhœwden ,qui avait près de lui une réserve de quatre régiments, averti encore assez à temps du danger qu’il courait ,se retira à Augezd avec tout ce qu’il put réunir de troupes. Il traversait ce village au moment où la division Vandammey entrait de son côté, et ce ne fut qu’à grand peine qu’il regagna Austerlitz avec quelques bataillons seulement. Le reste de sa colonne et celle du général Langeron furent arrêtés et faits prisonniers, au nombre de quatre mille hommes. Ce qui parvint à nous échapper s’enfuit en désordre vers les étangs glacés de Satschau.

Un sort affreux les y attendait. Les premiers ,réussirent à traverser, mais bientôt la glace se rompit sous le poids de l’artillerie et des bagages: hommes, chevaux et canons, tout fut englouti. Napoléon mit le comble à ce désastre en faisant tirer à boulet sur les parties de la glace qui résistaient encore;  elle s’entrouvrit pour se refermer aussitôt sur près de deux mille hommes. De cette aile gauche des Austro-Russes ,si nombreuse le matin, il ne restait plus à cette heure que sept à huit mille hommes, et dans quelle situation! Pressés entre ces fatals étangs d’un côté et nos baïonnettes de l’autre, ils n’offraient que des débris de toutes armes et de tous régiments, mêlés et confondus. Cependant le général Doctoroff parvient à les remettre en ordre, et va s’adosser à un relèvement de terrain, bien résolu de combattre jusqu’à la dernière extrémité. Il place sur son front la cavalerie de Kienmayer, son artillerie en seconde ligne, son infanterie par derrière, et nous attend dans cette position. Les dragons Beaumont, que l’on venait d’appeler de la gauche à la droite, sont aussitôt lancés sur cette cavalerie: ils l’abordent avec impétuosité, la sabrent et la poursuivent jusque sous la bouche même des canons de Doctoroff ; mais là ils sont arrêtés tout à coup par la mitraille et par un feu roulant de mousqueterie qui disloque et brise leurs rangs.

Alors accourent au pas de charge les divisions Vandamme et Saint-Hilaire, qui, malgré ce feu terrible et à brûle pour  point, enlèvent les pièces à la baïonnette, et précipitent les fantassins de Doctoroff sur Telnitz, où ils sont reçus par les décharges de la division Friant. Ainsi acculés ,il ne leur restait plus d’autre ressource que de se rendre ou de recourir à la voie si périlleuse des étangs. Beaucoup y trouvèrent la mort; d’autres plus heureux, ayant découvert une vieille chaussée purent s’échapper à la faveur de l’obscurité profonde de la nuit ;le plus grand nombre toute fois tomba entre nos maire. « J’avais bien vu des déroutes dans ma vie, dit à ce sujet le général Langeron, mais je n’en avais jamais vu de pareille. » En effet, depuis les guerres de la Révolution, il n’y avait pas eu d’exemple d’une défaite aussi écrasante. 

 


Les pertes des Austro-Russes étaient immenses. Près de quarante mille hommes étaient hors de combat, dont vingt et un prisonniers. Parmi ceux-ci se trouvaient dix généraux douze colonels et quatre cents officiers de tous grades. Les ennemis avaient en outre perdu dans cette journée quarante-cinq drapeaux, y compris les étendards de la garde russe, et cent quatre-vingts bouches à feu. De notre côté, nous avions eu deux mille hommes tués et cinq mille blessés, chiffre énorme relativement à celui de nos soldats qui furent engagés. Quarante cinq mille hommes tout au plus avaient pris part à l’affaire. Il y eut des régiments ,même des corps entiers, qui ne brûlèrent pas une amorce. La garde et les grenadiers Oudinot étaient au désespoir de n’avoir pas donné.

 


Ainsi, tandis que les coalisés épuisaient jusqu’à leur dernière réserve, l’Empereur, grâce à ses hautes combinaisons stratégiques, trouvait moyen de les battre avec quarante-cinq mille hommes, c’est à dire dans la proportion d’un contre deux. Mais aussi quelle ténacité! quels efforts héroïques! Pour être juste, il faudrait citer tous les régiments qui se trouvèrent engagés. Mentionnons au moins le 4e et le 14e de ligne, dont le commandant, le colonel Mazas, fut tué; les 17e, 33e, 36e, 40e, 43e, 48e et 53e de ligne, ainsi que les 10e, 13e et 15e légers. Tous avaient fait l’impossible dans cette journée: Napoléon s’empressa de leur en témoigner son contentement.
 

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Austerlitz,12 frimaire (5 décembre)

Soldats

Je suis content de vous; vous avez, à la journée d’Austerlitz, justifié. tout ce que j’attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d’une immortelle gloire. Une armée de  cent mille hommes, commandée par les empereurs de Russie et d’Autriche ,a été, en moins de quatre heures, ou coupée ou dispersée .Ce qui a échappé à votre fer s’est noyé dans les lacs. Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux :plus de trente mille prisonniers, sont les résultats de cette journée à jamais célèbre. Cette infanterie tant vantée, et en nombre supérieur, n’a pu résister à votre choc, et désormais vous n’avez plus de rivaux à redouter. Ainsi, en deux mois, cette troisième coalition a été vaincue et dissoute. La paix ne peut plus être éloignée; mais, comme je l’ai promis à mon peuple avant de passer le Rhin, je ne ferai qu’une paix qui nous donne des garanties et assure des récompenses a nos alliés. Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans le haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux. Mais, dans le même moment, nos ennemis pensaient a la détruire et à l’avilir, et cette couronne de fer, conquise par le sang de tant de Français, ils voulaient m’obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels ennemis; projets téméraires et insensés, que, le jour même du couronnement de votre Empereur, vous avez anéantis et confondus. Vous leur avez appris qu’il est plus facile de nous braver et de nous menacer que de nous vaincre. Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli ,je vous ramènerai en France :là, vous serez l’objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie ,et il vous suffira de dire: J’étais à la bataille d’Austerlitz, pour que l’on réponde: Voilà un brave!

NAPOLÉON

Emblème Aigle Impériale
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De si glorieux travaux voulaient être noblement récompensés. L’Empereur, par un décret en date du 7 décembre, adoptait tous les enfants des généraux, officiers et soldats tués à Austerlitz, et ordonnait qu’ils fussent élevés et instruits à ses frais; puis placés, mariés et dotés sur les fonds de sa cassette.

 

Un second décret constituait une pension de six mille francs aux veuves des généraux ;deux mille quatre cent francs à celles des colonels ,et ainsi de suite, jusqu’au veuves des simples soldats ,qui reçurent deux cents francs .Une gratification de cent millions était en outre accordée à la Grande Armée. Après avoir pris ces généreuses dispositions ,l’Empereur dut songer à partir pour aller presser la conclusion de la paix. Mais , avant de s’éloigner , il voulut passer en revue son armée et lui distribuer lui-même les décorations et les grades qu’elle avait si bien mérités. Arrivé au 4e de ligne qui avait eu , comme on sait, le malheur de perdre son drapeau, Napoléon passa et repassa devant le front du régiment, comme s’il eut  cherché  quelque chose. Puis, tout à coup, prenant un ton ferme et sévère:

 

« Soldat, dit-il, qu’avez vous fait de l’aigle que je vous avais confiée? Vous aviez juré de la défendre au péril de votre vie; comment avez-vous tenu vos serments? »

 

Le major Bigarré , répondit que le porte-drapeau avait été tué dans une charge et au plus fort de la mêlée; que la fumée des coups de fusils avait empêché dans le moment même de s’apercevoir de la disparition de l’aigle, et que le régiment s’était trouvé presque aussitôt aux prises avec la garde Russe .La figure de l,Empereur sembla se radoucir:

 

« Officiers et soldats, reprit il d’un ton moins sévère, jurez vous que pas un de vous ne s’est aperçu de la perte de son drapeau, sans quoi vous vous seriez fait tuer jusqu’au dernier pour le reprendre; car un soldat qui a perdu son aigle a tout perdu. »

Mille bras se lèvent et mille vois s’écrient:

-Nous le jurons!…

-Et nous jurons, Sire, ajouta le major, de défendre l’aigle que vous nous confierez avec autant de bravoure que nous en avons mis à nous emparer de ces deux drapeaux. Au même instant, deux vieux sous-officiers, tout chevronnés d’or, sortent des rangs avec les étendards Russes  et les présentent à l’Empereur .

-Ah! deux pour un! fit Napoléon, ravi de cette surprise. Puis se tournant vers les deux vieilles moustaches: -« Mes braves! je vous donnerai une nouvelle aigle. »

Le 12 décembre, Napoléon quittait Austerlitz, et quelques jours après la paix était signée à Presbourg.

Ainsi se termina la campagne d’Autriche de 1805, campagne aussi féconde en grands résultats politiques que prodigieuse au point de vue de l’art stratégique. Marengo avait été le don de joyeux avènement du Consulat à vie; Austerlitz fut celui de l’Empire.

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1806

Première campagne de Prusse

Bataille d’Iéna

I

Revue de la Garde impériale. -Folie belliqueuse de la Prusse.- Départ de l’Empereur. 

Par une belle matinée du mois de septembre 1806, la garde impériale tout entière se trouvait réunie dans la plaine des Sablons. A sa brillante et martiale tenue, à l’air de contentement qui rayonnait sur tous ces males visages, on devinait qu’ils s’agissait d’une grande revue passée par l’Empereur lui-même. En effet, il parut bientôt, escorté de ses aides de camp, Junot, Lauriston, Rapp, Lemarrois, Savary, Bertrand, Caffarelli, ainsi que du grand maréchal du palais, le fidèle Duroc. Quoiqu’il n’eût que alors que trente-sept ans, Napoléon était le plus agé de cette troupe de héros. Il parcourut d’abord au gallot le front de bandière et marcha ensuite à pied le long des rangs qu’il inspecta dans le plus minutieux détail.Après avoir adressé différentes questions au maréchal Bessières et s’être bien assuré que le matériel et le service des diverses armes, comme celui des ambulances, ne laissaient rien à désirer, l’Empereur remonta à cheval.

Un roulement formidable de tambours se fit entendre .Puis, aux commandements lancés dans l’espace, les  mouvements s’exécutèrent avec un ensemble remarquable: un seul et unique son retentit de ces milliers de fusils; et l’on vit s’agiter les aigles des drapeaux et s’ébranler ces admirables bataillons de la garde. 

Ce jour-là ,ils s’emblaient s’être donné le mot pour manœuvrer avec une précision et un ensemble particuliers et pour saluer l’Empereur  de leurs plus bruyantes acclamations. Cependant le figure du maitre demeurait impassible, il paraissait distrait en présence du  magnifique spectacle que présentait le défilé de cette troupe d’élite qu’habituellement il revoyait toujours avec un sentiment plus vif d’orgueil et d’admiration. Evidemment sa pensée était ailleurs, et dans cette tête puissante s’agitaient les vastes conception du plan de campagne qui allait bientôt lui livrer les destinées de la Prusse.  

M. de Laforest, son ministre auprès de cette cour, venait en effet de l’informer des passions ardentes qui fermentaient alors dans les cerveaux prussiens et de l’exaltation toute fanatique par laquelle la nation semblait entrainée par la guerre. C’était le temps ou les écrits de d’Arndt, de Villers, de Gentz, répandus à profusion, faisaient de toute parts un ardent appel au patriotisme allemand. Partout on entendait retentir des chants de guerre, des ballades finissant comme celle-ci : »Le temps est venu de secouer le joug. Aux armes donc pour la patrie allemande, noble vierge  dont la couche est souillée par l’étranger. » Les journaux, même les feuilles semi-officielles, étaient remplis de provocations belliqueuse. De grandes revues avaient lieu presque chaque jour, et la reine  s’y montrait dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Vêtue tantôt d’un magnifique costume d’amazone à brandebourgs, tantôt de l’uniforme de son régiment de dragons, elle parcourait les lignes, montée sur un cheval fougueux qu’elle maniait avec grâce, provoquant partout sur son passage les frénétique applaudissement des soldats. 

Une sorte d’ivresse présomptueuse s’était emparée de toutes têtes. Les casernes s’étaient transformées en clubs politiques, et les officiers y déclamaient avec une véhémence inouïe contre la nation française et contre son chef. Napoléon avaient bien pu, disaient ils, triompher de la mollesse des Autrichiens, de l’ignorance des Russes, mais on allait le voir aux prises avec la solide et savante tactique des élèves du grand  Frédéric, et alors il pourrait bien arriver qu’au lieu d’une victoire éclatante comme celle d’Austerlitz, il rencontrât un nouveau Rosbach!   

Telle était le langage vertigineux qui dominait dans toutes les conversations. Mais à de si folles paroles vinrent bientôt se joindre des actes encore moins mesurés et jusqu’à des voies de fait. Une nuit, des cris de fureur furent poussés  sous les fenêtres du ministre des affaires étrangères, M. Haugwitz, que l’on accusait d’être vendu à la France, et les vitres de son hôtel volèrent en éclat. On sut bientôt que les auteurs de cette scène tumultueuse étaient des officiers de la garde appartenant aux plus grandes familles, et qu’elle avaient été préparée et conduite en personne par le prince Louis de Prusse.   

Cependant le roi, Frédéric Guillaume, essayait encore de tromper et d’endormir le gouvernement français. Il venait d’adresser une lettre à l’Empereur dans laquelle il protestait de son attachement tout fraternel, se son entier dévouement de ce prince. Napoléon n’en voulu pas moins demander des explications catégoriques sur les armements qui se faisaient dans toute la monarchie prussienne, et sur l’arrivée soudaine d’une grande partie de ses forces militaires à l’extrême limite des confins de la Saxe et de la Bavière.

La réponse de la cour de Berlin ne se fit pas attendre: elle contenait de nouvelles protestations de d’amitié. Mais, presque au même moment, et comme pour les démentir, on vit la populace de cette ville se porter à l’hôtel de le légation de France, et insulter son représentant. En même temps la garnison de Postdam et la garde royale recevaient leur ordre de départ pour la frontière occidentale, et M. de Kreusenmarcke rendait à Saint Pétersbourg pour y signer un traité d’alliance offensive. Enfin l’armée Prussienne pénétrait en saxe et recevait sous ses drapeaux les troupes Saxonnes; Frédéric Guillaume avait envahi ce pays, comme, l’année précédente, François II, la Bavière, sans déclaration de guerre. En conséquence, on pouvait regarder les hostilités comme commencées de fait.

Le 13 septembre, la cavalerie et l’artillerie de la garde impériale quittèrent Paris et se dirigèrent à marches forcées sur le Rhin; l’infanterie y fut transportée en poste. Proportionnant ses préparatifs à toutes les éventualités possibles, Napoléon n’apporta pas moins de soins à assurer les moyens de la défense qu’à préparer ceux de l’attaque. En conséquence, il ordonna la formation, à Mayence, d’un huitième corps d’armée, dont il confia le commandement au maréchal Mortier. C’était, avec les réserves placées le long du Rhin, sous les ordres du maréchal Kellermann, un précieux renfort qui devait servir à remplacer les troupes alors en marche vers l’Allemagne, et a protéger en même temps la France de ce côté. Napoléon prescrivit en outre d’établir un camp à Utrecht et prit plusieurs autres mesures, afin de mettre toutes les parties de l’empire à l’abri d’un débarquement et d’un coup de main des Anglais.

Emblème Aigle Impériale

Après avoir ainsi tout disposé pour la sûreté intérieure et réglé la direction des affaires du gouvernement pendant son absence, Napoléon partît de Saint-Cloud dans la nuit du 24 au 25 septembre, accompagné de l’Impératrice, de M. de Talleyrand et des officiers de la maison impériale. Le 28, il était à Mayence ; là il ne s’arrêta que le temps nécessaire pour donner ses dernières instructions aux maréchaux Kellermann et Mortier; en même temps il pressait le départ des troupes nouvellement arrivées, et le transport des vivres et munitions destinés à la Grande Armée recevait cette vive impulsion qu’il savait communiquer à tous les services. Le 1er octobre, Napoléon renvoya sa maison civile et prit congé de son ministre des affaires étrangères, M. de Talleyrand. Au moment d’entreprendre, dans les lointaines régions du Nord, une longue et périlleuse campagne, l’Empereur, en se séparant de l’Impératrice , montra une vive et affectueuse émotion. Il y avait juste un an, à pareille date, qu’il avait franchi le Rhin pour marcher contre l’Autriche.

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II

Ultimatum de la Prusse. -Proclamation de l’Empereur à l’armée .