
Jean Lannes
C’était un homme d’une bravoure peu commune, calme au milieu du feu, il possédait un coup d’œil sûr et pénétrant.
Napoléon à Sainte-Hélène
Jean Lannes prince de Sievers, duc de Montebello 1769-1809
Le Roland de l’armée, l’Achille de l’armée, le Brave des Braves : ce sont là les appellations élogieuses que l’on appliquait à ce chevalier héroïque, intrépide, loyal, au courage prodigieux. Ce preux, adoré de ses soldats, fut l’une des plus attachantes figures de l’épopée. Napoléon avait pour lui une profonde amitié, et Lannes qui la lui rendait bien, eut le privilège unique, de continuer à le tutoyer après le sacre. Ses talents militaires étaient incontestables. Il était, après Davout, le plus capable de tous les maréchaux ; et partagea avec lui l’honneur de n’avoir jamais été vaincu, on peut dans un style différent lui comparer Suchet. » Il avait une réputation de bravoure qui éclipsait toutes les autres » (duchesse d’Abrantès – Mémoires).
A ces qualités, s’ajoutait celle d’un agréable physique. Lannes, qui mesurait 1m 78, était svelte et élégamment cambré. Marbot, qui fut son aide de camp, décrit sa physionomie : » agréable et très expressive ; ses yeux petits, mais annonçant un esprit des plus vifs « . Il ajoute qu’il « portait la tête constamment penchée sur l’épaule gauche à la suite d’une blessure reçue à St Jean d’Acre « . De plus la duchesse d’Abrantès, gazette de l’Empire, précise, « son pied, sa jambe et ses mains étaient d’une beauté remarquable, sa figure n’avait rien de beau, mais sa physionomie était très expressive, et quand ils s’animaient, ses petits yeux devenaient énormes et lançaient des éclairs « .
Origine
Jean Lannes naquit à Lectoure, dans le Gers, le 10 avril 1769: la même année que Napoléon. Ses ancêtres étaient originaires de la Gascogne, d’un petit village près de Bordeaux. Le père du futur maréchal, Jean dit Jeannot, né à Lectoure, était métayer. Après son mariage avec Cécile Fouraignan, également de Lectoure, il essaya d’élever sa position sociale en exerçant le métier de marchand de biens. Ce ne fut pas une réussite, il dut retourner à son premier état.
Huit enfants naquirent de ce mariage : cinq garçons et trois filles, Jean étant le cinquième. La vie était difficile, à cette époque, pour les paysans qui n’étaient pas propriétaires de leurs terres ; il fallait travailler dur pour pouvoir élever sa famille. Pas question d’envoyer les enfants à l’école, dès qu’ils étaient en âge de pouvoir aider le père, le travail des champs commençait pour eux. Cependant, l’aîné, Bernard, montrait quelques dispositions pour l’étude. Il est remarqué par le grand vicaire de l’évêque de Lectoure, qui le fait entrer au séminaire. Elève studieux et appliqué, ses efforts furent couronnés de succès :il fut ordonné prêtre.
Comme l’entente régnait dans la famille, Bernard voulut donner un peu de son savoir à son jeune frère, C’est ainsi que Jean apprit à lire, à écrire et à faire les quatre règles. Ce n’était pas grand chose, mais pour un petit paysan cela représentait déjà une certaine instruction. Le père de Lannes, qui tenait absolument à élever la condition de ses enfants, décida d’envoyer Jean à Auch, chez un maître teinturier, dans l’espoir d’en faire plus tard un artisan. Ses deux autres fils s’engagèrent dans l’armée des Pyrénées où ils furent tués au combat dans des conditions mal connues. Le quatrième s’engagea aussi, mais plus enclin à mener la belle vie qu’à observer la discipline militaire, il parvint tout juste au grade de maréchal des logis.
Plus tard Jean qui l’aimait bien, car c’était un gentil garçon, le maria et lui acheta une belle maison. Il n’oublia pas sa sœur qu’il dota parce qu’elle épousa un propriétaire des environs. Sa vie durant, et parvenu au faîte des honneurs, Lannes n’oublia jamais sa famille, il se montrera généreux et affectueux avec tous. Pour ses parents, il sera toujours un fils aimant et respectueux. Sa mère, morte en 1799, aura eu la joie de voir son fils devenu l’un des plus brillants généraux de la campagne d’Egypte. Quant à son père, il aura pu assister à sa fulgurante carrière, le voir parvenir au plus hautes dignités.
Hélas ! En 1809 son bonheur sera assombri par la mort de ce fils bien aimé dont il était si fier. Il lui survivra trois ans Le père Lannes a pu s’endormir paisiblement, il avait réalisé son désir : élever la condition sociale de ses enfants au dessus de la sienne.
Révolution & Campagne d’Italie
Mais revenons au jeune teinturier d’Auch. Après son apprentissage, il devient ouvrier. A vingt ans, il caresse l’espoir de s’installer un jour à son compte. Or, nous sommes en 1789. C’est la Révolution, tout change, une nouvelle ère commence. Lannes n’en continue pas moins son métier de teinturier durant trois ans Ce n’est qu’à la formation d’un deuxième bataillon de volontaires du Gers, en 1792, qu’il décide de s’engager dans l’armée. Le 20 juin il est élu sous-lieutenant par ses camarades. Jean est ambitieux, il veut de l’avancement, mais son frère Bernard n’est plus auprès de lui pour lui donner des leçons. Sa volonté y compensera, il continue à étudier et à se perfectionner. Il en sera ainsi toute sa vie. Maréchal d’Empire, il passait encore ses nuits à étudier. Ses efforts ne furent pas vains, Lannes parvint à acquérir une très bonne instruction qui lui permit de tenir honorablement son rang dans la haute position où il s’était élevé.
Le bataillon des volontaires du Gers est envoyé à Toulouse pour y apprendre l’instruction militaire. Cet apprentissage va durer plusieurs mois. L’un des instructeurs est le futur maréchal Augereau, il a deux ans de plus que Lannes, il va bientôt passer capitaine. Cet officier a servi comme mercenaire dans l’armée prussienne et dans l’armée napolitaine. Lannes qui a beaucoup de volonté et qui veut parvenir, profite de ses bons conseils. Une amitié se noue entre les deux hommes, elle ne s’éteindra qu’à la mort de Lannes. Ayant bien appris son métier de soldat, Lannes est versé dans l’armée des Pyrénées Orientales où il est nommé lieutenant, le 25 septembre 1793. Un mois plus tard, il est promu capitaine des grenadiers. Le 30 octobre, il est blessé à Banyuls ; une balle lui ayant traversée le bras gauche. Autorisé à aller se soigner à Perpignan, il reçoit aussitôt arrivé une lettre de son général qui a besoin de lui. Lannes se met tout de suite en route et rejoint son régiment le soir même. Le lendemain, 24 décembre, le bras en écharpe, il mène ses grenadiers à l’attaque ! Le 25, il est nommé chef de brigade et retourne à Perpignan pour y faire soigner sa blessure qui n’est pas encore cicatrisée.
En juillet 1795, la paix est signée avec l’Espagne. Après trois années passées dans l’armée des Pyrénées Orientales, Lannes est envoyé, avec Augereau, à l’armée d’Italie que commande Scherer. C’est en Italie que Lannes va pouvoir déployer ses talents militaires, affirmer sa valeur et connaître la gloire. Il se distingue d’abord à Loano, le 24 novembre 1795 où, son général étant blessé, il le remplace au commandement de la brigade et met les autrichiens en déroute. Augereau écrira, entre autre, dans son rapport au général en chef Le chef de brigade Lannes s’est conduit avec autant d’intelligence que de bravoure « . La carrière de Lannes a failli s’arrêter après cette belle action. Le Directoire se trouvant dans l’obligation de faire une refonte de l’armé, 23000 officiers furent réformés. Lannes, étant le moins ancien des chefs de brigade, est directement touché par cette mesure, il put l’éviter grâce à Augereau qui prit sur lui de le maintenir comme chef de brigade à la suite, sans affectation.
En mars 1796 arrive Bonaparte, nommé commandant en chef de l’armée d’Italie. Le 15 avril, le chef de brigade Lannes prend sous ses ordres quatre bataillons. Il est le premier à passer le Pô à Plaisance et le premier aussi à franchir le pont de Lodi. Après s’être brillament conduit à Dego, Bonaparte qui, avec son coup d’oeil, l’a déjà apprécié, le nomme général de brigade de cavalerie en septembre 1796. Le nouveau promu continue ses exploits en entrant le premier dans Bassano où il prend, lui même, deux drapeaux ; ce qui lui vaut une légère blessure. Huit jours après, au combat de Govemolo, Lannes est grièvement atteint d’un coup de feu ; il doit laisser son commandement pour être évacué sur l’hôpital de Milan. Lannes est soigné à Milan. L’armée des Alpes se trouve dans une position délicate, l’Autriche ayant formée une nouvelle armée de 100 000 hommes prête à attaquer. Bonaparte n’en dispose que de 40 000. Changeant ses plans, il décide d’abandonner le siège de Mantoue et de foncer sur l’ennemi. C’est à Arcole qu’aura lieu la rencontre. Lannes, mis au courant de ces événements, réalise la gravité de la situation ;
il n’hésite pas, il quitte l’hôpital, passant outre à l’interdiction de ses médecins, prend un cheval, et part au grand galop rejoindre Bonaparte. Il arrive à Arcole où Augereau lui confie la 51è demi-brigade qu’il va aussitôt entraîner sur le pont qui franchit l’Adige. Trois attaques précédentes ont échouées sous une grêle de mitraille. Lannes s’élance à son tour galvanisant ses grenadiers, ils ont presque atteint l’autre rive quand Lannes s’écroule blessé par deux balles à la poitrine.
On l’emporte pour soigner ces deux nouvelles blessures, ainsi que celle reçue à Govemolo qui n’est pas suffisamment cicatrisée. Qu’à cela ne tienne: sitôt les deux balles extraites, Lannes saute de son lit, enfourche un cheval et arrive à Arcole juste au moment où Bonaparte entraine ses troupes dans un nouvel assaut du pont. Lannes qui peut à peine marcher doit rester sur son cheval, c’est dans cette position qu’il se place devant Bonaparte pour le couvrir. L’ennemi ne peut manquer une si belle cible, et Lannes reçoit sa troisième blessure par balle. Désarçonné, il tombe à terre et s’évanouit.
On le reconduit à Milan où après sa guérison, il pourra bénéficier d’une convalescence bien méritée. En février 1798, le corps législatif remit à Bonaparte le glorieux drapeau du pont d’Arcole qui avait été envoyé au Directoire. Bonaparte ne le voulut point conserver, il en fit don à Lannes en lui écrivant : « … Plein de sang et couvert de blessures, vous quittâtes l’ambulance, résolu à mourir ou de vaincre. Je vous vis constamment dans cette journée au premier rang des braves… C’est à vous à être le dépositaire de cet honorable drapeau…
A Sainte-Hélène, dans les fragments de la campagne d’Italie, Napoléon rappellera ce fait d’armes d’Arcole : » Cette journée fut celle du dévouement militaire. Le général Lannes était accouru de Milan ; il avait été blessé à Governolo ; il était encore souffrant dans ce moment : il se plaça entre l’ennemi et Napoléon, le couvrant de son corps et reçu trois blessures, ne voulant jamais le quitter ». C’est probablement à Arcole que se noua une grande amitié entre Napoléon et Lannes. Celui-ci rempli d’admiration et de dévouement pour son maître et, Napoléon de confiance, de sollicitude, d’estime pour celui qu’il considère comme son élève dont il apprécie la droiture, la franchise, le désintéressement ; le talent qui fera de lui l’un des chefs les plus prestigieux de la Grande Armée.
Un mois après Arcole, Lannes reprend le service. Afin de le ménager, car il a besoin encore de beaucoup de soins, Bonaparte lui confie des commandements secondaires. Il ne participera pas à la grande victoire de Rivoli, ni à la rédition de Mantoue. Il commande l’avant garde de la division Victor qui a pour mission de retenir les troupes pontificales. Victor, futur maréchal aussi, avait connu Lannes à l’armée des Pyrénées Orientales, comme Augereau, il restera toujours son ami. L’armée papale ne résistera pas longtemps. Après une défaite sur le Senio, elle se retire devant Ancone mais ne peut empêcher Lannes d’y entrer. La route de Rome étant ouverte, le Pape met fin à la guerre en signant le traité de Tolentino. A propos de cette courte campagne, Marmont dans ses Mémoires, raconte un incident curieux qui donne une belle idée du courage et de l’esprit de décision de Larmes. Celui-ci accompagné de quelques officiers, voulut faire une promenade au bord de l’Adriatique. Soudain au détour d’un chemin, apparaissent trois cents cavaliers pontificaux. A la vue des officiers français, le chef d’escadrons ordonne à ses hommes :
– » Sabre à la main ! «
Lannes imperturbable, s’avance vers l’officier.
– » De quel droit, Monsieur, osez vous faire mettre le sabre à la main ? Sur le champ au fourreau
– » Subito « , répond l’officier. – » Vous êtes mes prisonniers, que l’on mette pied à terre et que l’on conduise les chevaux au quartier général. .
– » Adesso «
C’est tout ce que pu répondre le chef d’escadrons.
Les trois cent cavaliers démontés, tenant leur monture par la bride arrivèrent au quartier général devant les officiers français stupéfaits.
Les autrichiens ne pouvant faire front à l’avance des armées de la République, signent, le 18 avril 1797, la paix de Leoben qui met fin à la campagne d’Italie. Elle sera complétée, six mois plus tard, par le traité de Campoformio. Ces six mois de détente, Lannes les passera, comme attaché au quartier général auprès du général en chef, au château de Mombello, tout près de Milan, où Bonaparte tient une véritable cour. Grands personnages, artistes, musiciens, écrivains, savants, diplomates viennent à Mombello attirés par le nouveau César. Les belles italiennes sont curieuses de connaître ces jeunes généraux, aux exploits légendaires, qui sauront se montrer habiles dans des combats d’un genre bien différent. Lannes est heureux, mais habitué à la rude vie des camps, il se trouve dépaysé dans ce brillant milieu. Il doit faire un nouvel apprentissage : celui des manières raffinées, du langage distingué. Sur ce point Lannes aura du mal à se perfectionner : il ne sera jamais un homme de cour.
Néanmoins le séjour à Mombello lui sera bénéfique, il en tirera parti, plus tard, quand viendront les honneurs. Après la signature du traité de Campoformio, Lannes accompagne Bonaparte au congrès de Rastadt. Ensuite, c’est le retour en France ! Paris en liesse reçoit les héros de l’armée d’Italie : fêtes, honneurs, réceptions se succèdent sans arrêt. En décembre 1797, Lannes s’arrache à cette « dolce vita » pour se rendre à Lectoure embrasser ses parents. Cinq ans auparavant, le petit apprenti teinturier quittait sa bourgade pour aller s’engager dans les volontaires du Gers. Aujourd’hui c’est le général Lannes dont la bravoure est déjà légendaire qui rentre au pays. Lectoure accueille dans un enthousiasme délirant le plus illustre de ses enfants. Toute la population est dans la rue pour manifester sa fierté et son admiration, mais aussi son affection, car Lannes est aimé de ses compatriotes. Lannes est resté si simple, son élévation ne l’a pas grisé ; il se comporte avec ses anciens camarades comme s’il ne les avait jamais quittés ; ce sont des choses qui vont au fond du cœur, Lannes deviendra un demi-dieu pour ces braves gens.
Corps expéditionnaire d’Egypte & Consulat
Le 14 mars 1798, Lannes est désigné pour l’armée d’Orient. Bonaparte a décidé le Directoire à créer le Corps expéditionnaire d’Egypte ; bien entendu il appelle son ami auprès de lui et l’affecte au quartier général. La flotte quitte Toulon, le 9 mai, transportant une armée de 37 000 hommes qui se dirige vers Malte, suivant les ordres du Directoire. Cette ville est une position stratégique importante de la Méditerranée dont il est nécessaire de s’assurer le contrôle. Lannes participe à l’attaque et à la prise de la citadelle. Peu après, il reçoit le commandement de la 2ème brigade dans la division Kléber.
Le 1er juillet 1798, les français débarquent en Egypte et pénètrent dans Alexandrie. Lannes se distingue à ce combat, puis il occupe Rosette. Il se signale encore à la conquête d’El Arisch et à l’assaut de Jaffa. Le 19 mars 1799, Bonaparte met le siège devant Saint Jean d’Acre. Ce siège va durer près de deux mois, sans résultat, il sera levé le 11 mai Trois jours avant, le 8, au cours d’un treizième assaut, Lannes est blessé d’une balle à la tête : il tombe évanoui. Ses soldats qui le croient mort reculent en désordre. Les turcs, qui les poursuivent, ont l’habitude de couper les têtes des ennemis et de les placer sur la pointe des palissades. Lannes va-t-il connaître ce sort affreux ? Non ! Un capitaine parvient à réunir quelques soldats qui s’emparent de leur général, mais les turcs les harcèlent. Alors le capitaine attrape le corps par la jambe et le traîne sur la terre jusqu’à la tranchée. Lannes reprend connaissance, les secousses sur le sol l’ont ranimé ; on le transporte à l’ambulance où Larrey pourra extraire la balle qui, de la tempe droite est allée se cacher derrière l’oreille atteignant le cou.
Bien que guéri, Lannes conservera toujours quelques difficultés dans la parole et gardera la tête penchée sur l’épaule gauche. A propos de cette blessure, Marbot raconte dans ses Mémoires une anecdote qui montre combien Lannes était un homme de cœur et de sentiments élevés. Le capitaine de grenadiers qui lui avait sauvé la vie, au péril de la sienne, fut plus tard grièvement blessé et dû quitter l’armée il obtint une petite pension et se maria. Les ressources du ménage étaient plus que modestes, mais Lannes n’avait pas perdu de vue son sauveteur : » il devint une providence pour cette famille ; il acheta pour elle un relais de poste, des champs, des chevaux, une maison et faisait élever à ses frais le fils aîné en attendant que les autres fussent en âge de quitter leurs parents « . C’est en rentrant d’Espagne, sur la route de Paris que le maréchal raconta à Marbot cette touchante histoire après qu’ils aient mangé chez ces gens. Mais laissons parler Marbot : » Je fus surtout très étonné en voyant que la maison indiquée n’était pas une hostellerie. Mais à l’annonce de l’arrivée du maréchal, les habitants font éclater la joie la plus vive, dressant la table, la couvrant de mets succulants et s’élancent en pleurant de joie au devant de la voiture. Le maréchal, les larmes aux yeux, embrasse tout le monde y compris les plus petits marmots, et comble le maître de poste des marques de la plus tendre amitié.
Après diner, il ordonne à Saint Mars de tirer de son portefeuille une superbe montre en or et une chaîne de métal fermée d’un gros diamant, offre ces bijoux au maître et à la maîtresse de poste, donne 3 ou 400 francs aux servantes et s’éloigne au milieu des plus tendres embrassements .
Mais revenons à Saint Jean d’Acre. Deux jours après cette grave blessure, Bonaparte nomme Lannes général de division. Quelques jours plus tard, le général en chef décide de lever le siège, l’armée quitte la Syrie, reprend le chemin de l’Egypte et rentre au Caire. C’est le grand repos. Pas pour longtemps. Une nouvelle armée turque, amenée par la flotte anglaise, débarque à Aboukir. Le 25 juillet 1799, Bonaparte passe à l’attaque et livre la bataille qui restera l’une de ses plus belles et plus complètes victoires. Murat et Lannes sont les premiers à attaquer, Murat s’empare du fort, tandis que Lannes prend la redoute ; les turcs pris entre la cavalerie de Murat et l’infanterie sont repoussés jusqu’à la mer. Les deux gascons seront les grands vainqueurs d’Aboukir. Toutetefois, une partie de l’armée turque a pu se réfugier dans le fort ; il faut l’en déloger, Lannes est chargé de cette mission, il donne l’assaut, sabre au clair, quand il est atteint d’une balle qui lui traverse la jambe droite. D’abord soigné pendant cinq jours sous la tente, on le transporte ensuite à l’hôpital du Caire. La blessure n’est pas grave, mais elle se complique de symptômes tétaniques qui inquiètent Larrey. Pendant deux jours Lannes à la fièvre, ses yeux sont hagards, les machoires serrées, la voix rauque ; la jambe est tuméfiée et douloureuse. Encore une fois le grand Larrey, par un traitement énergique et bien conçu triomphera du mal. Pendant que Lannes est soigné à l’hôpital, Bonaparte décide en secret de retourner en France où règne le plus grand désordre. Le Directoire ne gouverne que par des expédients, les caisses sont vides, l’Italie est perdue, à l’est les armées repassent le Rhin. Le rêve égyptien doit être abandonné, c’est en France que doit s’accomplir le destin de Bonaparte. Il laisse à Kléber le commandement de l’armée et s’embarque, le 22 août 1799, emmenant avec lui : Berthier, Bessières, Marmont, Murat et Lannes qui ne peut encore marcher qu’avec des béquilles. Le 9 octobre, après avoir réussi à tromper la surveillance des vaisseaux anglais, Bonaparte et sa petite suite débarquent à Fréjus.
Au coup d’Etat du 18 brumaire, Lannes est chargé du commandement du quartier général des Tuileries. Le 12 novembre, le Premier Consul lui confie les 9 ème et 10 ème divisions militaires. Le 16 avril 1800, il est nommé commandant et inspecteur de la Garde Consulaire. Lannes est maintenant un personnage important du Consulat. L’Autriche ayant refusée la paix que lui proposait le Premier Consul, celui-ci décide de l’attaquer en Italie. Lannes qui commande l’avant garde de l’armée de réserve, franchit le Grand Saint Bernard, prend Aoste, réussit l’exploit prodigieux de contourner par des chemins impraticables l’imprenable fort de Bard, enlève Ivrée à la baïonnette et s’empare de Pavie. Le 9 juin, devant Casteggio, Lannes se trouve opposé à 18 000 autrichiens ; il ne dispose que de 8 000 hommes ; sans hésiter il attaque. La bataille durera toute la journée, elle se terminera au village voisin de Montebello. Combat terrible où se déploie, une fois de plus, la bravoure de Lannes, constamment au milieu de la mélée : » couvert de sang, il était partout au milieu du feu « , rapporte le capitaine Coignet dans ses célèbres » Cahiers « . C’est en souvenir de cette mémorable journée que Napoléon lui décernera, plus tard, le titre de duc de Montebello.
Cinq jours après, Lannes fait encore des prodiges à Marengo où il se fait remarquer par son admirable sang froid quand il doit, au plus dur de la bataille, commander la retraite. Pendant sept heures, il tiendra tête aux attaques des autrichiens, pour ensuite reprendre l’offensive après l’arrivée des colonnes de Desaix. Un sabre d’honneur viendra récompenser cette belle conduite. Après la victoire de Marengo, Bonaparte rentre en France, laissant à Masséna le commandement de l’armée. Bien entendu Lannes l’accompagne, il restera auprès de lui à Paris où le retiennent ses fonctions de commandant de la Garde Consulaire. On le voit toujours au côté du Premier Consul lorsqu’il passe, dans la cour des Tuileries, les fameuses revues du Décadie si prisées des parisiens. Lannes fait parti du petit groupe d’amis dont s’entoure Bonaparte et Joséphine à Malmaison ; on s’y réunit le samedi et le dimanche, sans protocole, dans une joyeuse intimité. Lors de l’attentat de la rue Saint Nicaise, Lannes se trouvait dans la voiture de Bonaparte, avec Berthier et l’aide de camp Lauriston ; il s’en tirèrent miraculeusement avec quelques estafilades au visage, provoquées par le bris des glaces ; ils n’en assistèrent pas moins à la représentation de l’Opéra .
Lannes est maintenant comblé, il peut envisager l’avenir sous les meilleurs auspices, quand un incident inattendu va perturber sa sérénité. Après le retour de la deuxième campagne d’Italie, le Premier Consul voulut reprendre l’équipement de la Garde, il chargea Lannes, qui en était le commandant de s’en occuper. Celui-ci qui était d’un naturel généreux, voulut que ses soldats soient habillés, chaussés et couchés avec des articles de premier choix ; il pratiqua de même pour la qualité de la nourriture. Bonaparte consulté donna son approbation. Mais si Lannes était un général hors de pair, il était, par contre, un piètre administrateur ; les employés affectés aux achats, ainsi que les fournisseurs surent en tirer profit. Lannes ne s’aperçut pas que les crédits alloués étaient dépassés. Le Conseil d’administration de la Garde découvrit, en épluchant les comptes, un trou de trois cent mille francs (environ un million de nos francs). Le Premier Consul mis au courant, par Bessières dit-on, convoqua Lannes et lui déclara qu’il lui donnait huit jours pour combler ce déficit ; passé ce délai, il serait traduit devant un Conseil de Guerre. Bonaparte ne doutait pas de la bonne foi de Lannes, mais il voulait faire un exemple. Lannes n’avait pas les moyens de réunir, en si peu de temps, une somme de cette importance ; il était désespéré. L’affaire fit du bruit ; Augereau en fut informé, il se rendit aussitôt chez son notaire, se fit remettre trois cent mille francs et chargea son secrétaire de verser cette somme, au nom de Lannes, dans la caisse de la Garde. Quand Bonaparte apprit ce généreux geste d’Augereau, il lui en sut un gré infini.
Portugal
Le 14 novembre 1802, le Premier Consul nomme Lannes ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire au Portugal. Est-ce un honneur ou une sorte de demi exil ? Selon Bourrienne, alors secrétaire de Bonaparte, celui-ci supportait mal que Lannes continua à le tutoyer, à le traiter en camarade, mais aussi à lui dire les vérités sans ménagement. Il aurait donc voulu l’éloigner, l’affaire des fonds de la Garde étant le prétexte pour lui en enlever le commandement.
Peut-être y a-t-il un peu de tout cela dans la pensée de Bonaparte. Quoiqu’il en soit, Lannes, qui de part son caractère n’est nullement désigné pour faire un diplomate, va mener à bien la mission qui lui est confiée. Il le fera à la manière qui lui est propre : la colère, la brusquerie, l’irritabilité. Il s’agit de réduire, au profit de la France, l’influence de l’Angleterre si solidement implantée au Portugal où elle exerce une puissante pression sur la politique, contrôlant l’industrie et le commerce. Des troupes portugaises sont commandées par des généraux anglais ; le premier ministre, d’Almeida, est servilement dévoué à la Grande Bretagne. Lannes, qui depuis l’Egypte hait et méprise les anglais, se trouve dès son arrivée dans une ambiance des plus hostiles. On lui crée toutes sortes d’embarras. Le premier ministre portugais, aiguillonné par l’ambassadeur d’Angleterre, soulève un premier incident qui blesse Lannes dans son amour propre. Celui-ci n’y va pas par quatre chemins, il réclame ses passeports et rentre en France. D’Almeida est ravi de le voir partir ; par crainte de le voir retourner, il va largement soudoyer Talleyrand, alors ministre des Relations extérieures, de sorte que Lannes ne puisse reprendre son ambassade. Talleyrand chercha à discréditer Lannes aux yeux du Premier Consul, lui demandant purement et simplement sa révocation. Bonaparte ne se laissa pas influencer par son vénal ministre, il renvoya Lannes au Portugal où le prince régent, bien renseigné, jugea de bonne politique de réclamer lui même son retour. Sur la demande du Premier Consul, il congédia d’Almeida : Lannes a gagné la partie ! Son deuxième séjour au Portugal fut bénéfique pour la politique française. Il parvint à débarrasser le pays de l’influence anglaise, aidé dans cette tâche par le prince régent qui le prit en grande amitié, acceptant d’être le parrain de son fils, Ernest, né à Lisbonne. Le jour même du baptême, le régent conduisit Lannes dans une salle de son palais où se trouvaient des caisses renfermant des pierreries du Brésil, il en fit ouvrir une et, prenant avec ses deux mains, trois fortes jointées de diamants, il les versa dans le chapeau de Lannes en lui disant : » La première est pour mon filleul, la seconde pour madame l’ambassadrice et la troisième pour monsieur l’ambassadeur « . Cela représentait une fortune. Marbot dans ses Mémoires, donne ce récit qu’il tenait de la bouche même de Lannes.
L’Empire
Dans le courant de 1804, après avoir reçu une lettre de satisfecit du Premier Consul, Lannes est rappelé en France. Sa mission était accomplie, il avait annihilé l’influence anglaise au Portugal. Le prince régent le vit partir à regret. Par contre Lannes ne se tient pas de joie de rentrer en France, et de se rapprocher de son maître et ami. Entre temps il a appris la proclamation de l’Empire et son élévation à la dignité de maréchal d’Empire, dixième dans l’ordre de promotion ; cette nommination, bien méritée, ne sera contestée par personne. Après un séjour à Lectoure et un autre à Domes dans la famille de sa femme, Lannes arrive à Paris dans les premiers jours de 1805.
Ulm-Austerlitz-Friedland
L’Angleterre a de nouveau déclaré la guerre à la France, Napoléon se prépare à l’envahir quand, se sentant menacé par l’Autriche et la Russie qui viennent de former une troisième coalition, il abandonne son projet de débarquement en Grande Bretagne. Changeant de cap, il dirige la Grande Armée vers l’Allemagne. Lannes qui a pris le commandement du 5ème Corps, franchit le Rhin le 25 septembre 1805. Il contribue à la prise d’Ulm et rentre le premier à Vienne, le 13 novembre à Austerlitz, il commande la gauche partageant la gloire de la victoire avec Murat Soult et Davout.
Après Austerlitz, Lannes demande un congé pour rentrer en France. On ignore les motifs qui l’ont amené à prendre cette décision. On sait néanmoins qu’il y a une brouille entre Napoléon et lui. Les deux hommes se battent froid ; ils ont eu, sans aucun doute, une violente altercation au cours de laquelle Lannes a du exprimer sa pensée et sa franchise avec la violence de langage dont il est coutumier. Toutefois, l’Empereur ne sévit pas, un autre que Lannes aurait encouru une sévère sanction, il l’autorise à quitter l’armée en précisant que si l’armistice n’amène pas la paix, il compte sur son retour. Lannes va d’abord passer quelques jours à Lectoure, puis il rentre à Paris où il peut enfin profiter des joies de la vie familiale dans son beau château de Maisons, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, qui existe toujours sous l’appellation de Maisons- Laffite.
En octobre 1806, la Prusse et la Russie s’unissent dans une nouvelle coalition. Napoléon doit se préparer à faire face, il rappelle Lannes et le remet à la tête du 5ème Corps. Les affrontements commencent presque aussitôt. Le 10, Lannes inflige aux prussiens leur première défaite à Saalfeld. Le 14, à Iéna, il commande le centre ; faisant preuve d’un remarquable coup d’œil, il prend une part décisive à la victoire. Au cours de cette bataille alors qu’il expliquait un mouvement de l’armée au général de Ségur ; Lannes reçut une balle qui déchira son uniforme et effleura sa poitrine, il n’en continua pas moins sa conversation avec Ségur, comme si rien n’était !
Maintenant que les prussiens sont battus, il faut aller à la rencontre des russes. La Grande Armée se dirige vers la Pologne. Le premier accrochage sérieux eu lieu à Pultusk le 26 décembre. Lannes, avec ses 18 000 hommes, se heurte à l’armée de Benningsen forte de 50 000 soldats. Par un froid glacial, sous la neige, dans la boue, Lannes enlève la décision faisant 2000 prisonniers aux russes qui s’enfuient en abandonnant la presque totalité de leur artillerie. Encore une fois le maréchal a été blessé par balle sans gravité. Sa santé, par contre, laisse à désirer. La traversée de la Pologne s’est déroulée dans des conditions atmosphériques épouvantables ; la troupe est épuisée, un soldat sur huit est malade. Lannes rongé par la fièvre doit s’aliter ; Suchet le remplace au commandement du 5ème Corps. Quand Napoléon venu à Pultsuk, voit son ami dans cet état, il le fait aussitôt conduire à Varsovie pour y être soigné en conséquence.
Son rétablissement demandera deux mois et demi, jusqu’à la mi-avril 1807. La maréchale en apprenant la maladie de son mari, n’hésitera pas, malgré la saison et les difficultés d’un long voyage, à quitter la France pour lui apporter ses soins et le réconfort de sa présence. Après sa guérison, Lannes retourne à l’armée pour prendre le commandement du Corps de réserve .Bien qu’il ne soit pas complètement rétabli, il participe au siège de Dantzig pour appuyer les forces de Lefebvre qui conduit le siège. Le 14 juin 1807, à la bataille de Friedland, il commande le centre de la Grande Armée. La veille de la rencontre, se place un incident que rapporte le capitaine Coignet dans ses Mémoires : » Le maréchal Lannes arriva de Varsovie fort mécontent des polonais .Dans une discution avec l’Empereur, devant le front des grenadiers, nous entendîmes qu’il lui disait :
– Le sang d’un français vaut mieux que toute la Pologne.
L’Empereur lui répondit :
– Si tu n’es pas content, va-t’en.
– Non lui répondit Lannes, tu a trop besoin de moi «
Lannes ne partit pas. Il eut une conduite mémorable à Friedland, où son action, une fois de plus, fut décisive. La défaite des russes est totale, le Tsar est contraint de demander la paix. L’entrevue des deux souverains à lieu à Tilsit où un radeau a été monté sur le Niemen pour cette circonstance. Napoléon est accompagné des maréchaux Berthier, Murat et Bessières, ainsi que des généraux Duroc et Caulaincourt. En raison de son magnifique comportement à Friedland, Lannes était certain de participer à l’entrevue, aussi est-il cruellement désillusionné. Il ne peut contenir sa rage. Pourquoi Bessières ? La présence des autres se justifie par leurs fonctions. Mais Bessières choisi à sa place – c’est probablement Murat qui l’a fait désigner – il ne peut l’admettre, cela n’est pas fait pour améliorer leurs rapports déjà tendus.
Le lendemain, Lannes oubliera sa rancœur et son humiliation. Alexandre a demandé à Napoléon de lui présenter Lannes. Il désire connaître ce terrible maréchal qui a battu ses armées à Pultzusk et à Friedland, celui dont la renommée est connue dans toute l’Europe. Quelle belle compensation pour Lannes ! Quelle fierté d’être reçu par le Tsar de Russie qui de plus lui témoigne une haute estime et lui donne son amitié.
D’autres agréables surprises attendent le brillant maréchal. Par le décret de Tilsit du 30 juin 1807, Napoléon le fait prince de Sievers, principauté polonaise que géraient les évêques de Cracovie. Lannes ne portera jamais ce titre, car s’il est ambitieux, jaloux de sa gloire, et pas toujours modeste, il n’en reste pas moins très simple. Le 13 septembre, il est nommé colonnel-général des Suisses. A la création de la noblesse d’Empire, en juin 1808, Lannes devient duc de Montebello, cette fois il ne négligera pas ce titre qui lui rappelle sa glorieuse victoire de la campagne d’Italie ; néanmoins, fidèle à ses principes républicains, il n’en tirera pas fierté. A ces honneurs viennent s’ajouter les dotations sur la principauté de Sievers ainsi que sur des biens en Westphalie et en Hanovre. Enfin, récompense bien méritée, Napoléon lui accorde un congé pour rentrer en France et s’y reposer. Le 18 juillet, Lannes tout heureux quitte la Russie pour aller retrouver sa femme et ses enfants dans leur château de Maisons où il va occuper ses loisirs dans l’élevage des moutons. La vie sourit au duc de Montebello : il est maintenant très riche. En plus de Maisons, il possède à Paris l’hôtel de Varenne, à Lectoure l’ancien Evêché, l’ancienne Abbaye de Bouillas, plusieurs métairies et quelques moulins.
Le 27 septembre 1808, Napoléon et Alexandre doivent se retrouver à Erfurt pour d’importantes négociations. C’est à Lannes que l’Empereur confie la mission honorifique d’aller accueillir le Tsar à Bromberg pour le conduire à Erfurt. La considération et les sentiments de sympathie témoignés par Alexandre à Tilsit se renforceront encore pendant ce voyage. A ce propos, le général Bertrand dans ses » Cahiers de Sainte Hélène « , cite une conversation de Napoléon : » L’Empereur Alexandre qui, ayant dans sa voiture Lannes qui s’était endormi, lui chassa les mouches, craignant qu’elles ne le réveillent. C’était pour lui un héros ; il sentait son mérite et le respectait « . Après l’amitié du prince régent du Portugal, c’est maintenant celle du Tsar de Russie que Lannes vient de conquérir. Alexandre lui en laissera un témoignage en lui conférant l’Ordre de Saint André, l’un des plus prestigieux de l’Empire Russe.
La paix règne maintenant entre la France, la Russie, l’Autriche et la Prusse. Napoléon est tranquille de ce côté. Il va profiter de cette occasion pour se mettre, lui-même, à la tête des troupes françaises qui combattent en Espagne où Murat accumule les fautes, tandis que Dupont vient de capituler honteusement en rase campagne à Bailen. L’Empereur invite Lannes, qui se repose à Paris, à venir le rejoindre à Bayonne qu’il va quitter dans les premiers jours de novembre pour franchir les Pyrénées. Le temps est mauvais, les chemins sont recouverts de neige glacée. En franchissant le Mont Dragon, le cheval de Lannes glisse brusquement sur le verglas et tombe, il essaie de se redresser, mais reperdant l’équilibre, il s’abat sur Lannes déjà meurtri par sa propre chute. On transporte le maréchal à Vittoria où Larrey le prend en main : » son ventre était enflé et tendu, il ressentait de vives douleurs dans ses entrailles, de la gêne dans la respiration… Le plus léger attouchement sur le bas ventre lui causait la plus vive douleur et augmentait l’oppression. Tout annonçait un commencement d’inflamation des organes intérieurs « . Appliquant une méthode qu’il avait vu pratiquer chez les esquimaux, au début de sa carrière pendant la campagne d’Amérique septentrionale, il passa sur le corps du maréchal une embrocation, très chaude, d’huile de camomille fortement camphrée ; il l’enveloppa ensuite dans la peau toute fumante d’un énorme mouton écorché vivant, après qu’on l’ai étourdi d’un coup de masse. Au bout de dix minutes, Lannes s’endormit : son sommeil dura deux heures. A son réveil, Larrey retira la peau de mouton, essuya le corps et appliqua des compresses d’eau de vie chaude camphrée. Le lendemain à huit heures tout était rentré dans l’ordre ; Larrey continua un traitement énergique. Le cinquième jour, Lannes enfourcha un cheval et, à franc étrier, partit rejoindre l’Empereur !
Campagne d’Espagne & Siège de Saragosse
Dès son retour, Napoléon lui confit le commandement du 3ème Corps plaçant, sous ses ordres, Moncey qui le dirigeait. Il s’agit d’empêcher le général Castafios d’enfoncer l’aile droite française. L’armée espagnole est composée de 50 000 hommes, Lannes n’en dispose que de 30 000 dont la plupart sont des conscrits qui n’ont pas encore reçu le baptême du feu. Moncey n’avait pas osé attaquer dans des conditions si défavorables. Avec Lannes tout va changer, les conscrits sont subjugués par l’intrépide maréchal qui, se mettant à leur tête, attaque vigoureusement, à Tudela, les troupes de Castafios. L’affaire ne traine pas, après quatre heures de combat, les espagnols sont décimés ; ils s’enfuient laissant 40 canons, 3000 prisonniers et 4000 morts. Malheureusement Lannes ne peut conduire la poursuite lui-même, au soir de cette bataille il est épuisé, il n’est pas encore bien rétabli de son accident du Mont-Dragon ; c’est grâce à son énergie surhumaine qu’il a pu tenir toute la journée.
Au début de janvier 1809, l’Empereur rentre à Paris, inquiet des bruits qui courent sur les préparatifs militaires des autrichiens. Il laisse Lannes en Espagne et lui confie le commandement supérieur du siège de Saragosse mettant sous ses ordres les 3 ème et 5 ème Corps commandés par Junot et Mortier qui pataugent tous deux devant la citadelle.
Ce siège sera très dur, il durera deux mois. Lannes doit lutter avec 30 000 hommes, contre plus de 60 000 défenseurs. Il lui faut aussi faire face à de nombreux groupes de partisans disséminés dans la campagne environnante. Ces guerilleros attaquent nos soldats et interceptent le ravitaillement qui, de ce fait, parvient difficilement et irrégulièrement à la troupe dont le moral est affecté par l’insuffisance de nourriture. Lannes, grâce à son sens de l’organisation, à son courage et son aptitude à galvaniser les soldats, triomphera de toutes ces difficultés. Mieux que cela, par son bon coeur et sa générosité, il parviendra à se faire respecter des fanatiques défenseurs de Saragosse. Ils seront si touchés par les sentiments humanitaires de Lannes, qu’après la rédition de la place ils lui offriront un précieux bouquet de fleurs en pierreries retiré du trésor de Notre Dame de Pilar.
Marbot cite un fait qui définit bien l’esprit charitable de Lannes : » Les français ayant pris d’assaut un couvent de religieuses y trouvèrent non seulement des nonnes, mais plus de trois cent femmes de toutes conditions qui s’étaient réfugiées dans l’église… Ces infortunées s’étant trouvées cernées pendant plusieurs jours n’avaient pu recevoir de vivre : elles mouraient de faim. Le bon maréchal les conduisit, lui-même, au marché du camp, il ordonna d’apporter à manger à ces femmes, en ajoutant qu’il se chargerait du paiement… il les fit reconduire à Saragosse, toutes firent l’éloge du maréchal et des français « . C’est ce geste humanitaire qui, en appaisant la population, mit fin au siège. Sarragosse capitula le soir même : le 21 février 1809. Le duc de Montebello ayant accompli sa mission attendit les ordres de l’Empereur. Ceux ci parvenus, il quitta Saragosse, le 26 mars, pour se rendre à Paris, non sans faire un crochet par Lectoure où la maréchale vint le retrouver.
Campagne d’Autriche
Lannes va maintenant s’engager dans la nouvelle campagne contre l’Autriche qui, aidée par l’or anglais, a reconstitué une armée de 300 000 hommes. L’Empereur François II déclenche les hostilités dès le 9 avril 1809. Le maréchal, qui a rejoint le quartier général le 19, prend le commandement d’un Corps provisoire. Il sème aussitôt la panique dans les rangs ennemis. Les autrichiens reculent, mais ils disposent d’un point stratégique important : la ville de Ratisbonne, entourée de remparts et puisamment défendue. Il faut enlever cette place, Napoléon désigne Lannes pour le faire rapidement, car il ne peut être question d’un siège qui retarderait l’avance de la Grande Armée. Malgré une intense préparation d’artillerie, et l’ouverture d’une brèche, il est impossible de pénétrer dans la place. Lannes décide alors d’assaillir les défenseurs en appliquant des échelles contre les remparts. Il demande cinquante volontaires qui répondent immédiatement à son appel et montent à l’assaut : ils sont aussitôt mitraillés. Il en demande cinquante autres : même résultat. Un troisième appel est fait : cette fois personne ne répond. Alors Lannes crie à ses soldats : » Eh bien ! Je vais vous faire voir qu’avant d’être maréchal j’étais grenadier et le suis encore ». Joignant le geste à la parole, il saisit une échelle ; les soldats enthousiasmés par cette bravoure vont le suivre, quand ses aides de camp l’arrêtent pour lui retirer l’échelle. Lannes ne veut pas céder : » Suivez moi si vous voulez mais lachez moi « . L’honneur des aides de camp est en jeu, ils s’emparent de l’échelle ; immédiatement plusieurs autres sont appliquées et, officiers en tête, les grenadiers montent à l’assaut des remparts. En quelques minutes Rastibonne passe aux mains des français.
Après cette victoire, Napoléon fonce sur Vienne où il entre le 11 mai. Lannes qui commande maintenant le 2ème Corps, pénètre à son tour dans la capitale autrichienne. Les autrichiens s’étant retirés au delà du Danube, il va falloir franchir le fleuve pour les affronter. C’est en inspectant les rives pour y relever les points de passage que se place un incident qui montre bien la grande amitié de Napoléon pour Lannes. Tous deux, côte à côte, marchaient sur les bords du Danube ; soudain Lannes s’étant pris le pied dans un cable perd l’équilibre et tombe dans le fleuve dont le courant est fort à cet endroit. Napoléon n’hésite pas, il rentre dans l’eau jusqu’à la ceinture et, au risque de sa vie, attrape Lannes qu’il parvient à hisser sur la berge. Après avoir passé le Danube, la Grande Armée attaque les autrichiens à Aspem et à Essling. L’Empereur envoie Masséna sur Aspem et Lannes sur Essling. La bataille est dure et sanglante, les deux maréchaux font des prodiges. Napoléon a placé Bessières sous les ordres de Lannes. Les deux hommes se détestent, le duc de Montebello n’a jamais pardonné au duc d’Istrie son attitude quand, sous le consulat, il l’impliqua dans l’affaire des fonds de la Garde Consulaire ; il n’a pas oublié non plus sa pression sur Joséphine pour qu’elle appuie la candidature de Murat à la main de Caroline qu’il convoitait aussi. Voulant faire charger les autrichiens par toute sa cavalerie, il fit porter l’ordre suivant au duc d’Istrie : » Allez dire au maréchal Bessières que je lui ordonne de charger à fond « . Le terme » j’ordonne » était une vexation, celui de » charger à fond » une injure pour un soldat aussi courageux que Bessières. Celui-ci bien qu’il prit très mal la chose, chargea héroïquement ! A la fin de cette journée, Lannes se rendant à Aspem pour s’entretenir avec Masséna y rencontra Bessières, les deux maréchaux ont une vive altercation, ils sont prêts à en venir aux armes quand Masséna intervient avec fermeté, réussissant, non sans peine, à les calmer. Mis au courant, l’Empereur réprimande Bessières qui, le lendemain, dut venir prendre les ordres du duc de Montebello qui les lui donna avec hauteur ; Bessières encaissa l’affront mais obéit.
22 mai 1809
Lannes eut une conduite admirable pendant les deux jours que dura la bataille d’Essling : il s’était dépensé sans compter. Le soir de la deuxième journée, il chevauchait accompagné de ses aides de camp, désirant un peu se détendre, il mit pied à terre, il avait près de lui le général Pouzet qui fut, autrefois, son sergent instructeur aux volontaires du Gers ; une vieille amitié les unissait. Soudain, une balle égarée vint frapper Pouzet à la tête le tuant net. Lannes fut bouleversé, ce malheur ne fit qu’aviver la mélancolie dont il ne se départissait pas depuis son retour de cette horrible guerre d’Espagne qui l’avait si fortement marqué. De sinistres pressentiments l’assaillaient. La veille encore, en montant à cheval, il avait dit à ses aides de camp : » Je n’ai pas une bonne idée de cette affaire, quelqu’en soit l’issue, ce sera ma dernière bataille « .
Le maréchal s’éloigna pensif. Au bout d’une centaine de mètres, il s’assit sur le revers d’un fossé. Il était là depuis quelques minutes quand des soldats passent portant un mort dans un manteau : c’était Pouzet ! Lannes se lève : » Ah ! s’écrit-il, cet affreux spectacle me poursuivra donc partout ! » Il va s’asseoir, un peu plus loin, sur le talus d’un autre fossé, la tête entre les mains, les jambes croisées. Bien que la bataille soit terminée, l’artillerie ennemi faisait encore quelques tirs sporadiques. Lorsqu’un petit boulet de trois vint tomber à quelques mètres, il ricoche et vient frapper Lannes à l’endroit où ses deux jambes se croisaient ; La rotule du genou gauche fut brisée, la cuisse droite effleurée et les muscles endommagés. Marbot se précipite, le maréchal lui dit : » Je suis blessé… C’est peu de chose… Donnez moi la main pour m’aider à me relever « . Il ne peut le faire. Les aides de camp appellent quelques grenadiers qui font rapidement un brancard de fortune avec quelques branches, le portent un peu plus loin quand arrive Larrey qui a été rapidement averti ; il fait transporter le maréchal dans son ambulance.
Le blessé avait le visage décoloré, la voix était faible, le pouls à peine sensible. Larrey fit appeler auprès de lui plusieurs chirurgiens dont Yvan qui était attaché à l’Empereur. L’amputation de la jambe gauche fut décidée, Larrey la pratiqua en moins de deux minutes ; Lannes la supporta courageusement. Peu après survint Napoléon. » L’entrevue fin des plus touchantes, nous dit Marbot, L’Empereur à genoux auprès du brancard, pleurait en embrassant le maréchal dont le sang teignit son gilet de casimir blanc « . Le pont sur le Danube ayant été emporté, le blessé passa la nuit dans l’île de Lobeau, allongé sur une douzaine de manteaux de cavalerie en guise de matelas. Le 23 au matin, l’Empereur envoya une solide barque afin de transporter Lannes sur la rive droite. Là, on le conduisit dans la maison d’un brasseur ; un logis inconfortable, la chambre, petite donnait sur une cours humide. Napoléon venait tous les jours, matin et soir, voir son ami. Bessières eut un beau geste, oubliant leur différent, il se rendit auprès de Lannes et lui tendit la main. Les aides de camp, les officiers, même les vieux grognards, ne pouvaient retenir leurs larmes.

Le lendemain on pansa ses blessures, leur état permettait d’espérer la guérison, Lannes envisageait avec sérénité le port d’une jambe artificielle. Le septième jour, une forte fièvre se déclara, suivie d’un délire affreux. On fit appeler de Vienne le docteur Franck, célébrité européenne, qui demanda à rester auprès du malade. Le temps était orageux, la chaleur suffocante : la gangrène se déclara. Dès lors, tout espoir était perdu. Le duc de Montebello s’affaiblissait de plus en plus. Dans la nuit du 30 au 31, il reprit ses facultés, il était calme, il parla de sa femme, de ses enfants, de son père. Au matin, le jour se levait à peine, il appliqua sa tête sur l’épaule de Marbot, parut sommeiller et rendit le dernier soupir. Quelques instant après arrive Napoléon. Marbot s’avance au devant de l’Empereur et lui annonce que tout est fini. Napoléon rentre dans la chambre, se penche sur Lannes et l’embrasse, il pleure à chaudes larmes. Il resta une heure dans cette pièce où l’air était irrespirable. Avant de se retirer, il donna ses instructions pour faire embaumer le corps et le retourner en France. Larrey et Yvan procédèrent à l’embaumement. La dépouille de Lannes fut transportée à Strasbourg et déposée à la préfecture : elle y resta un an.
Larrey: « Je fus chargé d’embaumer son corps qui fut transporté pendant la nuit au château de Schönbrunn. Nous commençâmes les opérations de l’embaumement à la pointe du jour, dix-huit heures après la mort; et déjà la putréfaction était portée au plus haut degré. J’eus la plus grande peine à injecter les vaisseaux et à vider les cavités; je fus obliger d’enlever tout le tissus cellulaire de l’habitude du corps et de l’interstice des muscles: le cœur ne contenait presque point de sang, et le cerveau était éloigné de la dure-mère d’environ douze millimètres. Les vaisseaux de communication de la pie-mère au cerveau étaient rompus; une petite quantité de sang noirâtre était épanchée dans les circonvolutions, et les ventricules étaient pleins de sérosité roussâtre. »
Cadet de Gassincourt, pharmacien militaire a affirmé que, Lannes sur son lit de mort, aurait adressé de violents reproches à Napoléon. Marbot qui resta constamment au chevet du maréchal fut toujours présent lors des visites de l’Empereur, réfute catégoriquement cette assertion : » Moi qui entendait tout, je déclare que le fait est inextact « . Le général Pelet le réfute pareillement. Aucun des témoins de l’entrevue ne relate cette scène qui est une pure invention. Il est regrettable que certains historiens l’aient tenue et la tiennent encore pour vraie.
Quand elle apprit la grave blessure de son mari, la maréchale partit aussitôt avec son frère, le colonel Guéhéneux, pour se rendre à son chevet. Arrivée à Munich, on lui remit une dépêche annonçant la fin du maréchal. Elle rebroussa chemin et regagna Paris dans un profond désespoir.
Plus tard, en mars 1810, quand elle se rendit au devant de la future impératrice Marie Louise dont Napoléon l’avait nommée Dame d’Honneur, elle s’arrêta à Strasbourg pour se reccueillir devant le cercueil de son mari. On la conduisit à la préfecture où reposait dans une salle souterraine le corps du maréchal. Là en proie à une violente émotion, elle demanda à ce qu’on ouvre la bière afin de revoir une dernière fois le cher visage de son compagnon. Quand elle vit le cadavre, la maréchale, livide, perdit connaissance et tomba sur le sol. Le choc fut si dur que l’on craignit pour ses jours. Le 22 mai 1810, anniversaire de la bataille d’Essling, la dépouille de Lannes quitta Strasbourg pour être transportée à Paris. A six heures du matin, toutes les cloches de la ville se mirent à sonner, tandis que l’artillerie tirait treize coups de canon. Le cercueil fut conduit à la cathédrale où l’on célébra un office solennel. Puis le char funèbre prit la route de Paris, précedé de vingt cinq cavaliers, derrière venait la voiture de la famille suivie d’un peloton de cavalerie. Dans toutes les villes traversées, le convoi était salué par les autorités civiles et militaires Dans chaque chef lieu de département un service funèbre était célébré à la cathédrale, et la garnison rendait les honneurs militaires.
Le 2 juillet, la glorieuse dépouille arriva à Paris, on la déposa sous le dôme des Invalides. Le 6, jour anniversaire de Wagram, on transporta le corps dans l’église Saint Louis où était dressé un monumental catafalque. La batterie des Invalides tirait des salves de treize coups. Toutes les cloches de la capitale sonnaient le glas. Le poêle était tenu par les maréchaux Bessières, Davout, Moncey et Serurier. Les autorités civiles et militaires étaient présentes. Après la messe, le cortège se dirigea vers le Panthéon, précédé par le clergé de toutes les paroisses de Paris, suivi par tous les maréchaux présents à Paris, les grands dignitaires de l’Empire, de nombreux généraux, les représentants des grands corps de l’Etat. La Garde Impériale ainsi que des détachements de toutes les armes accompagnaient celui que tous aimaient, qu’ils appelaient » le Roland de la Grande Armée « . Plus de cent mille parisiens suivaient cet imposant cortège.
Au Panthéon, devant le caveau, le maréchal Davout prononça, au nom de l’armée, l’éloge de son frères d’armes, de celui qui fut avec lui le plus grand des maréchaux d’Empire. Jamais aucun autre maréchal de Napoléon n’eut d’aussi grandioses funérailles. Plus tard, Lectoure éleva aux plus glorieux de ses enfants, une statue en marbre, œuvre de Corot.
Vie familiale
Lannes se maria deux fois. Il connut sa première femme à l’époque où il fut nommé chef de brigade dans l’armée des Pyrénées Orientales. On se souvient que blessé à Banyuls, en octobre 1793, on l’envoya se soigner à Perpignan. Pendant sa convalescence, il vint loger chez madame Méric, veuve d’un riche négociant. Cette dame vivait avec ses deux enfants : Jean, et Barbe que l’on appelait Polette. La jeune fille avait vingt ans, c’était une ravissante brunette, gaie comme un pinson, vive et surtout très coquette. Lannes fut subjugué par cette beauté. Polette n’était pas insensible au charme de ce bel officier de vingt cinq ans, toujours impeccable dans sa toilette. Elle n’eut aucune peine à faire sa conquête. Elle accepta facilement de devenir sa femme, d’autant plus que Lannes, un peu trop vaniteux, lui laissait entrevoir une vie aisée. A ses dires, ses parents sont des gens riches tenant le haut du pavé dans la société lectouroise. Madame Méric n’était pas chaude pour donner sa fille à un militaire dont l’avenir était incertain. Mais Polette est volontaire, elle veut son fringuant officier, elle l’aura. Madame Méric, bien contre son gré, devra donner son consentement. Les deux amoureux se marièrent civilement, le 19 mars 1795.
La lune de miel terminée, Lannes rejoint l’armée emmenant sa femme avec lui ; pour peu de temps car la guerre reprend. Ne voulant pas la laisser seule, il l’envoie à Lectoure chez ses parents. Quand elle fera connaissance de sa belle famille, Polette désenchantera : elle s’attendait à trouver des bourgeois, ce ne sont que de modestes paysans. Elle se sent mal à l’aise dans la vieille maison sans confort combien différente des appartements cossus de Madame Méric. Cette belle étrangère est vite remarquée dans le village. Polette n’est pas insensible aux oeillades des jeunes lectourois, elle trompe son ennui en se laissant courtiser. On le remarque, sa conduite est critiquée, des bruits courent qui parviennent aux oreilles de Lannes. Il en souffre d’abord, puis il finit par se détacher de cette épouse volage. Polette s’affiche maintenant avec son amant dont elle sera bientôt enceinte. C’est à l’hôpital d’Alexandrie où Lannes est soigné après sa blessure d’Aboukir qu’il apprendra que sa femme vient d’être mère d’un garçon. A son retour d’Egypte, il entama une procédure de divorce. Il l’obtint aux torts de Barbe Méric, l’enfant étant déclaré adultérin.
Lannes oubliera Polette et continuera son ascension. Le voici maintenant commandant de la garde Consulaire il est devenu un personnage important, il peut prétendre à un beau mariage. Au moment où Murat demande la main de Caroline, Lannes fit la même démarche auprès de Bonaparte. Celui – ci préférait donner sa soeur à Lannes, son ami deviendrait ainsi son beau frère. Mais le Premier Consul, qui était à cheval sur les principes ne donna pas son accord parce que le divorce de Lannes était trop récent. Par ailleurs, Joséphine soutenait la candidature de Murat, tandis que Bessières intervenait dans l’ombre pour appuyer la candidature de son compatriote et ami . Lannes ne pardonnera jamais à Bessières son comportement dans cette affaire, et il en voudra toujours à Murat.
Cependant, Bonaparte aurait aimé faire rentrer Lannes dans sa famille. Il contacta Aimée Leclerc qui était la belle soeur de Pauline : elle refusa net ; par contre elle accepta Davout qui pourtant était bien loin d’avoir le charme et l’élégance de Lannes. Ce choix étonne, on le comprendra peut -être en écoutant la duchesse d’Abrantès qui, donnant un portrait flatteur de Lannes ajoute cependant : » …mais peu de succès auprès des femmes. Lannes était timide, il ne savait pas séduire « . A quelque temps de là, Lannes fit la connaissance de Louise Guéhéneuc dont le père, riche financier d’origine bretonne, était sénateur et administrateur des forêts. La jeune fille accepta avec joie la demande en mariage que lui fit Lannes. Les parents, flattés de donner leur fille à ce brillant général, n’hésitèrent pas à donner leur accord. Le mariage, rapidement conclu, fut célébré, le 16 septembre 1800 à Domes. près de Nevers. où monsieur Guéhéneuc possédait une propriété.
Louise qui avait dix huit ans, était d’une remarquable beauté. » Elle était la copie d’une des plus belles vierges de Raphaël ou de Corrège » ; ainsi la décrit Laure d’Abrantès. Madame de Rémusat en fait un portrait aussi avantageux : » Parmi nos belles femmes on remarquait encore la maréchale Lannes. Son visage a quelque chose de virginal ; ses traits sont doux et réguliers, son teint d’un blanc charmant « . A Sainte Hélène, Napoléon confiait un soir à las Cases – » Elle était jeune, belle, d’une conduite parfaite « . En effet Louise était une des plus jolie femmes de la Cour. A cette Cour, où elle ne se plaisait pas, on la trouvait froide, sèche, peu encline à la conversation, ce qui est assez compréhensible chez une femme qui ne médisait jamais des autres et qui avait horreur des cancans : chose peu courante dans le cercle impérial. Napoléon l’estimait beaucoup, il aimait la donner en exemple, regrettant qu’elle ne vienne pas plus souvent aux Tuileries .
Louise qui avait reçu une excellente éducation eût une influence bénéfique sur Lannes ; elle le débarrassa de son enveloppe soldatesque et parvint à apaiser sa nature coléreuse. Aussi bonne épouse que mère, fidèle à son mari qui l’adorait, ils formèrent un couple uni et heureux. La mort de Lannes vint briser ce bonheur. Le coup fin terrible pour la maréchale. Elle eut malheureusement une regrettable réaction : elle prit en grippe Napoléon, elle le rendait responsable de la mort de Lannes. Pourtant l’Empereur lui témoigna une vive sollicitude ; il lui annonça, lui même, dans une touchante lettre, la mort du maréchal ; quand il fallut nommer la dame d’honneur de l’Impératrice Marie Louise, c’est la duchesse de Montebello qu’il choisit pour assumer cette tâche. La maréchale ne lui en fut nullement reconnaissante, bien au contraire. Par contre, elle s’attacha à Marie Louise et prit sur elle un réel ascendant. Lors de la première abdication, elle conseillera vivement à Marie Louise d’abandonner l’Empereur et d’aller se réfugier auprès de son père, la dissuadant d’aller rejoindre Napoléon à Fontainebleau. Cette conduite odieuse de la duchesse de Montebello, laisse un malaise, on a de la peine à comprendre le comportement de cette femme par ailleurs si honnête, si vertueuse, qui toujours portait si haut le sens du devoir. Napoléon, à Sainte Hélène lui reprochera vivement son attitude.
Après avoir accompagné l’Impératrice à Vienne, la maréchale revint en France et s’installa à Paris, ne recherchant, ni n’acceptant aucune charge honorifique : elle se consacrera uniquement à l’éducation de ses enfants. Bien que jeune encore, elle ne se remariera pas. Peu après la mort du maréchal, elle avait refusé une demande en mariage qu’avait présenté à Napoléon, le roi d’Espagne Ferdinand VII. La duchesse de Montebello survécu quarante sept ans à son époux. Elle s’éteignit à Paris, le 3 juillet 1856, à l’âge de soixante quatorze ans. Elle avait donné cinq enfants à Lannes : quatre garçons et une fille. L’aîné, Louis – Napoléon, né en 1801 au Portugal, filleul du prince régent, fut ministre de la marine sous Louis Philippe ; le deuxième, Alfred, né un an après, fonda la maison de champagne qui existe toujours sous l’appellation » Champagne de Montebello » ; l’avant dernier, Ernest, qui naquit en 1803, s’établit à Pau ; enfin le plus jeune, Gustave, né en 1804, devint général de division sous Napoléon III. La benjamine, Joséphine, naquit en 1806.

Quels exploits aurait encore accomplis Lannes s’il n’avait été fauché en pleine jeunesse ? Nul doute que la campagne de Russie ne fut une nouvelle page héroïque de sa carrière. Il se serait certainement couvert de gloire pendant la campagne de France. Et si Lannes s’était trouvé à Waterloo… Napoléon y a songé à Sainte Hélène : » s’il eut été disponible, il était de ces hommes à changer la face des affaires par son propre poids et sa propre influence « . Une autre question vient à l’esprit : Lannes serait – il resté fidèle à Napoléon après l’abdication ? Il parait impensable qu’il ait pu faire spontanement allégeance à Louis XVIII, il ne l’aurait probablement faite qu’en dernier lieu ; Lannes était resté Jacobin, il fut toujours hostile aux Bourbons, comme aux émigrés. On le voit mal renier ses principes, ni s’avilir devant le nouveau pouvoir. Le duc de Montebello a trop souvent donné des preuves de sa droiture et de sa dignité morale pour qu’on puisse imaginer semblable attitude. C’était d’ailleurs l’opinion de l’Empereur : » Nous avons appris à ne jurer de rien ? Toutefois je ne pense pas qu’il eut été possible de le voir manquer à l’honneur et au devoir « . Quoiqu’il en soit, Lannes était d’un loyalisme irréprochable que l’on peut citer en exemple dans l’univers napoléonien. » Son noble cœur ne comprenait pas qu’il fut possible de transiger avec ses sentiments et il les manifestait avec la franchise de son caractère » ; c’est la duchesse d’Abrantès qui nous donne ce jugement élogieux et combien vrai.
Lannes fut, sans conteste, l’homme qu’aima le plus Napoléon. Dans ses causeries de Sainte Hélène, l’Empereur qui ne fut pas toujours tendre pour ses maréchaux, ne lui ménagea pas les louanges ; jamais le moindre blâme ne vint effleurer la mémoire de ce grand soldat au courage légendaire qui, sur les champs de bataille, au milieu des pires dangers, dans les moments les plus critiques, quand soufflait le vent de la défaite, ne se départissait pas de son admirable sang froid ; ce sang froid qui lui permettait de saisir la faute de l’ennemi et de retourner la situation.
Pourtant Lannes n’aimait pas la guerre, ce grand entraineur d’hommes était un pacifiste. Parcourrir un champ de bataille après le combat, y voir tous ces morts, entendre les cris de douleurs des blessés, était pour lui une épreuve déchirante qui lui brisait le cœur, car cet homme impéteux, irrascible parfois, portait en lui une grande sensibilité. Doux, patient, compréhensif avec ses grenadiers, veillant à leur bien être, il en était adoré, leur dévouement pour le maréchal était sans limite ; sa mort fut pour eux une véritable catastrophe ; c’était leur chef, leur ami, leur père qu’ils venaient de perdre. Il se comportait de la même façon avec ses officiers. Ce preux qui méprisait le danger, qui poussait la coquetterie jusqu’à s’exposer en grande tenue sur le champ de bataille, s’adressa un jour en ces termes aux officiers de son Etat major : «
Souvenez – vous, messieurs, qu’à la guerre les fanfaronades sont toujours déplacées et que le vrai courage consiste à braver les périls auxquel on est exposé en restant à son poste et non d’aller parader au milieu des combats sans y avoir été appelé par devoir « .
Quel plus bel éloge peut on faire de Lannes que de citer ces paroles de Napoléon : » Il était sage, prudent, audacieux devant l’ennemi, d’un sang froid imperturbable. Lannes était un homme d’une bravoure peu commune calme au milieu du feu il possédait un coup d’oeil sur et pénétrant ; il avait une grande expérience de la guerre, il s’était trouvé dans cinquante combats isolés et à cent batailles plus ou moins importantes. Comme général, il était infiniment au dessus de Moreau et de Soult « . Toute la carrière de Jean Lannes, duc de Montebello, se résume dans ce dernier jugement de l’Empereur : » Chez Lannes le courage l’emportait d’abord sur l’esprit ; mais chez lui l’esprit montait chaque jour pour se mettre en équilibre Il était devenu très supérieur quand il a péri : je l’avais pris pygmée, je l’ai perdu géant « .

Chronologie
NÉ : le 10 avril 1769 à Lectoure (Gers) sur la route d’Auch à Agen.
MORT :le 31 mai 1809 à Ebersdorff en Autriche, des suites d’une blessure par boulet qui nécessita l’amputation de la jambe gauche.
SÉPULTURE : Panthéon. Son cœur a été déposé dans le caveau de sa famille au cimetière de Montmartre à Paris (4ème division).
ORIGINE DE LA FAMILLE : Gascogne. Village d’Omet, canton de Cadillac (Gironde) près de Bordeaux.
PARENTS : Jean Lannes, né et mort à Lectoure (1733 – 1812). Propriétaire agriculteur et marchand de biens. Marié à Cécile Fouraignan (1741 – 1799). Quatre frères et trois soeurs, Lannes étant le cinquième.
EPOUSES : 1°) Barbe, dite Polette, Méric. Fille d’un riche négociant de Perpignan. 2°) Louise Antoinette Scholastique de Guéhéneuc. Née à Paris le 26 mars 1782, décédée à Paris. le 3 juillet 1856. Fille de François de Guéhéneuc (1759 – 1840), comte de l’Empire, directeur des eaux et forêts, sénateur, Pair de France ; et de madame, née de Crépy.
MARIAGE : Avec Polette célébré à Perpignan, le 19 mars 1795. Divorce prononcé le 18 mai 1800 avec Louise célébré à Donnes, près de Nevers (Nièvre), le 16 septembre 1800.
ENFANTS : Louis Napoléon (1801 – 1874), ministre de la marine sous Louis Philippe. Ambassadeur en Russie sous Napoléon III , Alfred (1802 – 1861), fondateur de la maison de champagne » duc de Montebello » Ernest (1803 – 1882), qui s’établit à Pau. Gustave (1804 – 1875). Général de division sous Napoléon III. Joséphine (1806 – 1889).
DESCENDANCE : la postérité masculine et féminine de Lannes subsiste toujours. L’une des descendantes de la ligne féminine, Gersende de Sabran Pontevès est marié avec le prince Jacques de France, fils de comte de Paris prétendant au trône de France.
TITRES ET FONCTIONS HONORIFIQUES :
– Ambassadeur de France au Portugal, le 14 novembre 1802 à 33 ans.
-Maréchal d’Empire, dixième dans l’ordre de promotion, le 19 mai 1804 à 35 ans.
– Chef de la 9ème cohorte de la Légion d’Honneur – Prince de Sievers, le 30 juin 1807 à 38 ans. – Duc de Montebello, le 15 juin 1808 à 39 ans
ETATS DE SERVICE :
– Volontaire au 2ème bataillon du Gers en 1792, à 23 ans
– Sous-lieutenant, le 20 juin 1792 à 23 ans
– Capitaine de grenadiers, le 31 octobre 1793 à 24 ans
– Chef de brigade, le 25 décembre 1793 à 24 ans
– Général de brigade de cavalerie, en septembre 1796 à 27 ans
– Général de division, le 10 mai 1799 à 30 ans
– Commandant et inspecteur général de la Garde Consulaire, le 16 avril 1800 à 31 ans
– Colonel général des Suisses. le 13 septembre 1807 à 38 ans
DECORATIONS :
– Grand Aigle de la Légion d’Honneur, le 2 février 1805
– Grand Croix de l’Ordre du Christ de Portugal en 1805
– Commandeur de l’Ordre de la Couronne de Fer (Autriche), le 25 février 1806
– Grand Croix de l’Ordre de Saint Henri de Saxe, le 26 septembre 1807
– Chevalier de l’Ordre de Saint André de Russie en 1808 BLESSURES :
– Blessé d’une balle qui lui traversa le bras à Banyuls (Pyrénées Orientales)
– Blessé à Bassano (Italie)
– Grièvement blessé d’un coup de feu à Govemolo, près de Mantoue (Italie)
– Trois fois blessé par balle à Arcole (Italie)
– Grièvement blessé d’un coup de feu au cou à Saint Jean d’Acre, le 8 mai 1799
– Grièvement blessé d’une balle qui lui traversa la jambe gauche à Aboukir le 27 juillet 1799
– Reçoit un coup de biscaïen qui lui rase la poitrine en 1806 à Iéna
– Blessé d’une balle à Pultusk (Pologne), le 26 décembre 1806
– Mortellement blessé à Essling (Autriche), le 22 mai 1809
CAMPAGNES :
– Campagne d’Italie (1796 – 1797)
– Campagne d’Orient (1798 – 1799)
– Deuxième campagne d’Italie (1800)
– Campagne d’Allemagne et d’Autriche (1805 – 1806 – 1807)
– Campagne d’Espagne (1808 – 1809)
– Campagne d’Allemagne (1809) Le nom du maréchal Lannes est inscrit au côté Est de l’Arc de Triomphe de l’Étoile.
