Emblème Impériale

“ Il laissait battre ses camarades ”
Napoléon à Sainte-Hélène.

L’homme

Les maréchaux d’Empire, si différents les uns des autres par leur éducation, leur caractère, leurs capacités, avaient, cependant, un point commun : ils étaient tous braves ! Ils méprisaient le danger, ils galvanisaient leurs soldats, n’hésitant pas à exposer leur vie pour charger à leur tête quand la situation l’exigeait. Un seul ne possédait pas cette ardeur Guerrière : Gouvion Saint-Cyr ! Il se différenciait aussi par sa tenue. A l’opposé de ses collègues qui affectionnaient les dorures et les broderies, il se singularisait par ses uniformes extrémement modestes. Il portait généralement une redingote bleu toute simple, même pas agrémentée des épaulettes. Marbot lui trouvait “ la tournure d’un professeur plutôt que d’un militaire ”. Les mémorialistes ne nous ont pas laissé beaucoup de détails sur l’aspect de Gouvion Saint-Cyr. On sait seulement qu’il était de taille très élevée, qu’il avait un visage grave et froid, peu engageant.

Origine

Laurent Gouvion Saint-Cyr naquit à Toul le 13/04/1764. Son père, Jean-Baptiste Gouvion, issu d’une famille de bouchers, était tanneur à Toul. Il avait épousé, le 08/02/1763, Anne-Marie Mercier qui n’avait pas encore seize ans. De ce mariage naquirent trois garçons : Laurent, Louis et François. La jeune femme ne devait pas avoir le sens maternel très développé ; elle abandonne le domicile conjugal laissant, à la charge de son mari, ses trois enfants dont le dernier était âgé de quelques mois seulement. Laurent avait quatre ans. La jeunesse de Gouvion Saint-Cyr est peu connue. On sait qu’il ne voulut pas exercer le métier de tanneur comme le désirait son père qui l’aurait vu aussi avec plaisir embrasser la carrière militaire. Gouvion n’était pas tenté par les armes. Ayant goût prononcé pour les mathématiques et le dessin, il décida de devenir ingénieur, et partit à Metz pour y poursuivre ses études. Il les abandonna bientôt ; on ignore pour quelle raison, peut-être parce que son tempérament artistique lui fit préférer le dessin. Il revint à Toul pour le pratiquer et l’enseigner. A dix-huit ans, Gouvion entreprit un voyage en Italie pour s’y perfectionner dans l’art pictural. Après avoir parcouru toute la péninsule, il se fixa à Rome. Au bout de deux ans, il revient en France et se rend à Paris où il entre, comme élève, dans l’atelier de Guy Brenet, peintre réputé de tableaux d’histoire. Il vend bien quelques toiles, mais cela ne suffit pas pour assurer son existence. Il se lance alors dans la carrière théâtrale, sans pour cela abandonner la peinture. On ne sait pas grand chose de son passage, d’ailleurs éphémère dans le monde du théâtre, si ce n’est que Chateaubriand se souvint de l’avoir vu tenir un rôle dans “ La mère coupable ” de Beaumarchais. Nous sommes en 1792, Gouvion à vingt-huit ans. Quα-t-il fait depuis la fin de ses études ? Rien ! Il végète, c’est un raté.

 

 

Le militaire

Tout va changer avec la Révolution. Comme pour tant d’autres, la vie de Gouvion sera bouleversée. Le 01/09/1792, il s’enrôle, comme volontaire, au 1° bataillon de chasseurs républicains. C’est à ce moment qu’il ajoute à son nom, celui de Saint-Cyr, qu’après la révolution il rehaussera de la particule. Pourquoi a-t-il choisi Saint-Cyr ? Peut-être parce que sa mère, pour une raison que l’on ignore, s’était donné ce surnom après avoir abandonné son foyer. Cette mère indigne, il voulut la revoir ; il la retrouva à Lyon, lors de son voyage en Italie. On n’entendra jamais plus parler delle. L’ascension de Gouvion Saint-Cyr dans la carrière militaire fut fulgurante. Quinze jours après son engagement, il est déjà sergent-major. Un mois et demi plus tard, il est capitaine dans l’armée du Rhin. Au bout d’un an, le voici adjudant-chef de bataillon et, quatre mois après, adjudant-général chef de brigade, ce qui correspond au grade de colonel. Il ne lui faudra que cinq ans pour être promu général de brigade. Il ne restera pas longtemps dans ce grade, cinq jours seulement ; c’est le laps de temps qu’il lui aura fallu pour obtenir les épaulettes de général de division. Dans un an et neuf mois, Gouvion Saint-Cyr a gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire. Comment, en si peu de temps, a-t-il pu s’élever aussi haut ? Disons, tout d’abord, qu’il était d’une intelligence peu commune, et doué d’un réel talent d’administrateur, ce qui n’était pas courant dans les cadres des armées républicaines. Ces qualités le désignèrent pour faire un excellent officier d’état-major. Dans cette fonction, il sut se rendre utile et affirmer sa compétence qui fut vite remarquée. Directement en contact avec les grands chefs de l’armée du Rhin, Hoche, Moreau, Kléber, il bénéficia de leur appui. Bien qu’il eut à exercer, à plusieurs reprises, des commandements effectifs, c’est surtout dans les états-major qu’il se distingua. Ce sont toutes ces raisons qui font qu’il accéda très rapidement aux plus hauts grades. Général de division, Saint-Cyr va montrer ses qualités de stratège et de manoeuvrier. Pendant les huit années qu’il passera à l’armée du Rhin, il acquerra une haute réputation dans le milieu militaire. Il se distinguera au siège de Mayence, le 04/10/1795 où, sous Kléber, il commande quatre divisions ; le 31/05/1796, il prend le commandement du Corps de gauche de l’armée Rhin-Moselle, puis de celui du centre. Son rôle est décisif à la bataille d’Ettlingen et il s’empare de Sttutgart. Hoche, sur son lit de mort, désigne Gouvion Saint-Cyr comme commandant en chef de l’armée Rhin-Moselle pour y assurer l’intérim.

Le 26/03/1798, il va remplacer Masséna au commandement de l’armée de Rome. Le Directoire le rappele, le 25 juillet pour une histoire, plutôt obscure, d’abus de pouvoir. Il est alors envoyé à l’armée de Mayence, puis à celle du Danube pour passer enfin à l’armée d’Italie où il commande l’aile droite à Novi. En septembre 1799, il est nommé gouverneur de Gènes. Vainqueur à Bosco, à Novi et à Albaro, Bonaparte le récompense de ses victoires en lui remettant un superbe sabre d’honneur. Le 17/12/1799, il reprend du service à l’armée du Rhin. Le 22/09/1800, le premier Consul appelle Gouvion Saint-Cyr au conseil d’Etat, section de la guerre. C’est là que vont se développer ses capacités de légiste qui lui permettront, plus tard, de devenir un ministre de la Guerre d’une compétence incontestable. Parlant de lui dans ses “ souvenirs ”, Stendhal dira : “ un des rares chefs qui fussent capable d’étudier un dossier ”. Le 04/02/1801, il est chargé de la direction des armées françaises et espagnoles en lutte contre le Portugal. En novembre, Bonaparte l’envoie remplacer Lucien à l’ambassade de Madrid. Mais la diplomatie n’est pas son fort, Gouvion ne possède aucune des qualités nécessaires à un ambassadeur. Il manque de doigté, de finesse, et surtout de souplesse. Il s’en rendait bien compte, il remplissait cette fonction contre son gré. Aussi demande-t-il son rappel qui lui est accordé. Rentré à Paris, le premier Consul lui propose l’ambassade de Berlin qu’il refuse après quelques hésitations. Bonaparte n’insiste pas et l’envoi, le 14/05/1803, prendre le commandement du Corps d’observation du royaume de Naples.

Lors de la proclamation de l’Empire, Saint-Cyr est toujours à Naples. Bien entendu, il critique cet acte et montre sa désaprobation. Napoléon lui tint rigueur de son comportement et l’écarte de la promotion des maréchaux. Ainsi, en raison de son déplorable caractère, Gouvion Saint-Cyr fut privé d’une dignité à laquelle ses talents militaires le désignaient beaucoup plus que d’autres que l’on s’étonne de voir figurer dans la liste des dix-huit maréchaux d’Empire. Une consolation cependant : le 06/07/1804, l’Empereur le nomme colonel général des cuirassiers. Mis à la tête de l’aile droite de l’armée qui va se battre contre l’archiduc Charles d’Autriche, en 1805, Gouvion Saint-Cyr accomplit l’exploit, le 28 novembre, de faire prisonnier le prince de Rohan avec tout son corps d’armée. Décidement, Gouvion ne saura jamais se tenir tranquile : en 1806, Masséna le remplace au commandement de l’armée de Naples. Blessé dans son orgueil, il quitte aussitôt l’italie, rentre à Paris et se présente aux Tuileries au lever de l’Empereur. Napoléon s’approche et lui demande :

 

– Général vous arrivez de Naples ?
– Oui, Sire, j’ai cédé le commandement au maréchal Masséna, que vous avez envoyé pour me remplacer.
– Vous avez reçu sans doute la permission du ministre de la Guerre ?
– Non, Sire, je n’avais plus rien à faire à Naples.
– Si dans deux heures vous n’êtes pas sur le chemin de Naples avant midi vous êtes fusillé en plaine de Grenelle.

Saint-Cyr dut s’exécuter et retourner à Naples où régnait maintenant Joseph Bonaparte. Sollicité pour tenir un emploi important auprès du Roi, il décline cet honneur et va commander un corps d’armée à la tête duquel il occupe la Pouille. De retour à Paris, en congé officiel cette fois, on l’envoie prendre le commandement de Boulogne, à la place de Brune, le 15/12/1806. C’est une demi-disgrâce pendant laquelle il s’ennuie sérieusement alors que ses camarades se couvrent de gloire en Prusse orientale. Il met à profit cette période de tranquilité pour s’occuper à ses intérêts ; il achète le château de Reverseaux, près de Chartres, dans la fertile plaine de la Beauce si justement appelée “ le grenier de la France ”. En mai 1808, Gouvion Saint-Cyr est fait comte de l’Empire. Le 17 août, il est nommé commandant de l’armée de Catalogne. Là, il remporte plusieurs succés, notamment à la prise de Roses et à la délivrance de Barcelone. A la suite de divergences avec ses pairs, il est informé qu’il est remplacé dans son commandement par le maréchal Augereau. Piqué au vif, Gouvion Saint-Cyr n’attend pas l’arrivée de son successeur ; il quitte l’armée en plein siège de Girone. C’est une faute grave, il est passible du Conseil de Guerre, l’Empereur le suspend de ses fonctions et le met aux arrêts dans son château de Reverseaux, le 14/11/1809. Il y restera jusqu’en 1811. Napoléon réorganise la Grande Armée pour préparer la campagne de Russie, il parvient à réunir plus de 600 000 hommes dont 400 000 entreront en Russie ; c’est l’armée la plus formidable que la France ait jamais eue. Pour commander cette masse il faut des généraux, mais des généraux de valeur, Saint-Cyr en est un, c’est là la principale raison de son retour en grâce. On lui confie le Corps d’armée bavarois avec lequel il va s’illustrer en battant dans des conditions difficiles, le général Wittgenstein à Polotsk, les 17 et 18 août 1812. Cette bataille, qui dura en fait quatre jours et une nuit, se solda par la mise hors de combat de 10 000 combattants ennemis, dont six généraux, et la prise de 14 canons. Blessé dès le premier jour, le 17, il l’est de nouveau le lendemain, atteint d’une balle au pied gauche, mais cette fois grièvement. Le 27 août, Napoléon qui a pu juger la valeur de Saint-Cyr, le récompense par le bâton de maréchal. Malgré la gravité de sa blessure, le nouveau
maréchal continue à assurer son commandement ; il ne le quittera que le 18 octobre pour pouvoir enfin se soigner sérieusement.

En janvier 1813, le prince Eugène de Beauharnais se l’attache comme conseiller militaire, il le place ensuite à la tête du 11° Corps de la Grande Armée. Le 10 mars, ayant contracté le tiphus, Gouvion cède son commandement à Macdonnald et rentre en France. Après son rétablissement, Gouvion est appelé, le 04/08/1813, au commandement en chef de l’armée d’Allemagne. Le 25 août, Napoléon l’envoie défendre Dresde avec pour mission de résister aux attaques des alliés,et de tenir la ville à tout prix. Pour la bonne réussite du plan qu’a formé Napoléon, Dresde ne doit pas céder. Gouvion, soit par manque de confiance en lui, soit par mollesse, peut-être aussi en raison de sa mauvaise condition physique, ne peut promettre à l’Empereur de pouvoir résister longtemps. Napoléon, ne pouvant compter sur lui, doit abandonner son plan pour se porter, avec 100 000 hommes, sur Dresde. Ce changement dans la manoeuvre, ce déplacement de combattants, anéantirent les projets de l’Empereur. Si Gouvion Saint-Cyr avait tenu trois jours, il est permis de croire que Napoléon aurait pu contourner les alliés bloqués devant Dresde, les séparer du reste de leur armée, leur couper toute retraite et les battre sans merci. Gouvion venait d’inaugurer là cette série de fautes que vont commettre la plupart des maréchaux dans cette malheureuse campagne. L’Empereur laissa à Gouvion Saint-Cyr deux corps d’armée pour défendre Dresde et dirigea ses troupes sur Leipzig pour tenter d’obtenir une victoire. Hélas ! ce sera la défaite de la Grande Armée.

Après ce désastre, Saint-Cyr capitula alors qu’il avait la possibilité d’exécuter une bonne retraite et sauver son armée. La capitulation, signé le 11 novembre, stipulait que les troupes françaises retourneraient librement en France. La garnison quitta Dresde et, après quelques kilomètres fut arrêtée par les forces autrichiennes qui la fit prisonnière. Le prince Schwarzemberg, violent les engagements pris, déclara qu’il n’approuvait pas cette convention. Gouvion fut envoyé à Carlsbad où il resta prisonnier jusqu’en juin 1814. Louis XVIII, installé sur le trône, le fit rentrer en France et le nomma à la Chambre des Pairs. Gouvion Saint-Cyr se rendit aussitôt à Reverseaux pour y oublier ses malheurs, auprès de sa femme, en se consacrant à l’amélioration et à l’entretien de son domaine. C’est dans cette vie agreste qu’il passa la restauration. Tout permettait de croire que cette belle vie continuerait longtemps quand, le 7/03/1815, parvient l’ordre impératif de se rendre à Lyon. Militaire discipliné, Gouvion ne cherche pas à comprendre et exécute immédiatement les instructions reçues. En cours de route, il apprend le débarquement de Napoléon à Golfe Juan, en même temps que son entrée à Lyon. Il rebrousse chemin aussitôt et arrive à Paris, le 14. Le 19, il recoit le commandement de l’armée constituée à la hâte à Orléans pour défendre Paris contre “ l’usurpateur ”. Mais l’on sait la vague d’enthousiasme que sucita le retour de Napoléon. Les troupes reprirent la cocarde tricolore que chaque soldat avait conservé dans sa giberne. Gouvion dut s’incliner devant leur volonté. Il se réfugia à Bourges. Puis il reprit la route de Reverseaux, via Paris où il fut convoqué par l’Empereur. Il ne demanda rien et on ne lui proposa rien. Il fut le seul des maréchaux présents dans Paris à ne pas assister à l’imposante cérémonie du champ de Mai. Napoléon le destitua de son commandement, mais lui conserva la dignité de maréchal ; il lui accorda même une importante pension ; seulement il l’ignora. Si Saint-Cyr ne chercha pas à reprendre du service auprès de l’Empereur, il faut lui rendre cette justice qu’il agit pareillement avec le Roi. En effet, Louis XVIII le sollicita, sans succès, pour commander, sous les ordres du duc de Bourbon, les troupes royalistes de l’ouest.

Après Waterloo , le retour de Louis XVIII

Après Waterloo, dès le retour du Roi en France, Gouvion Saint-Cyr est appelé au gouvernement et succède à Davout au ministère de la Guerre. Ce farouche républicain, après avoir cavalcadé autour du carosse royal, lors de l’entrée de Louis XVIII à Paris, n’hésita pas à se mettre au service de la monarchie et à commettre un acte qui le déshonore, en écrivant au commandant de l’île d’Aix : ”…Je vous défends de seconder par vos forces le commandant de la frégate sur laquelle se trouve Napoléon Bonaparte s’il résistait à l’ordre qu’il reçoit de remettre Napoléon Bonaparte au commandant anglais qui le réclamera. Je vous ordonne également dans le cas où Napoléon Bonaparte tenterait de s’évader ou aborderait à l’île d’Aix, de vous emparer de sa personne et de le remettre au commandant anglais ”. Livrer l’Empereur des français à l’ennemi ! Passe d’être ingrat, mais s’avilir à ce point. Ce 1° gouvernement démissionna le 25 septembre. Le Roi remercia Gouvion pour son dévouement en le nommant membre de son conseil privé. De nouveau membre du gouvernement, il est ministre de la Marine, du 23 juin au 12/09/1817. Le 31 août, Louis XVIII l’honore du titre de marquis et lui décerne la Grand Croix de l’ordre de Saint-Louis. Quelques jours après, le 12 septembre, Gouvion Saint-Cyr quitte le ministère de la Marine pour reprendre celui de la Guerre qu’il conservera jusqu’au 18/11/1819. C’est pendant ces deux années que Gouvion va donner la pleine mesure de ses talents d’organisateur et d’administrateur. En 1818, il fait voter la loi, qui porte son nom, sur le recrutement de l’armée par engagements volontaires et tirage au sort. Cette loi porte la durée du service à six ans et régle strictement l’obtention des grades. Cette dernière disposition lui alliène les ultras-royalistes qui usaient et abusaient du favoritisme en ce domaine. Soutenu par le Roi, et faisant preuve d’une grande autorité, il parviendra à imposer sa loi, envers et contre tous, malgrè l’obstruction des ultras qui ne désarment pas et continuent à combattre sa politique.
En 1819, Gouvion Saint-Cyr abandonne les affaires et les honneurs pour lesquels il n’a aucun goût. Il se retire dans ses terres de Reverseaux où il va enfin jouir des bienfaits de la vie familiale entre sa femme et son jeune fils, occupant son temps entre les grands travaux d’agriculture qui le passionnent, ses écrits militaires, et la rédaction de ses Mémoires. Saint-Cyr profita pendant dix ans de cette vie tranquille. Il était heureux ; il n’avait jamais aimé les honneurs, il ne pouvait les regretter. N’aimant pas les hommes, la solitude lui convenait, il s’y complaisait. Cette période aurait pu être la plus belle de sa vie si elle n’avait pas été assombrie par des problèmes de santé. La carrière de Gouvion fut, à plusieurs reprises, interrompue par la maladie. Il était maintenant usé. Ses dernières années furent tristes. Il essaya de se rétablir en se rendant sur la côte méditerranéenne, à Hyères. A trois reprises, il vint se soigner dans cette ville réputée pour avoir le plus doux climat de France. Il s’y trouvait pendant l’hiver de 1829, et comptait rentrer à Paris dans le courant d’avril 1830 quand, le 12 mars, il eut une attaque d’apoplexie. Cinq jours plus tard il s’éteignait, âgé seulement de soixante-six ans. Son corps fut transporté à Paris où il parvint le 26. Les obsèques nationales furent célébrées en l’hôtel Royal des Invalides, le 6 avril. C’est le maréchal Mortier, duc de Trévise, qui prononça l’éloge funèbre. Inhumé au cimetière du Père Lachaise, son monument est le plus beau de tous ceux des maréchaux.

Gouvion Saint-Cyr laissait une veuve de cinquante-cinq ans et un fils, Laurent-François, âgé de quinze ans, né après vingt ans de mariage. On ne sait pas grand chose sur la maréchale qui n’était pas mondaine et n’eut jamais d’activité politique. Touloise aussi, elle était cousine germaine de Gouvion et portait le même nom. Son père, François-Charles Gouvion, était marchand-boucher. Il mourut jeune laissant quatorze enfants. Anne, la future maréchale, avait dix-neuf ans au moment de son mariage avec Gouvion qui en avait trente et un. De modeste condition, enfant de famille nombreuse, la mariée ne dut pas apporter, dans la corbeille de mariage, autre chose que sa jeunesse et son amour pour son beau général. On ne connait qu’un portrait d’Anne Gouvion. On y remarque de très beaux cheveux roux encadrant un visage allongé au teint clair. Les yeux, chatains foncé, sont surmontés de sourcils bien arqués et assez fournis. On ne peut dire qu’Anne était jolie, mais il se dégage de ce portrait une expression de vivacité de mouvement, d’esprit et de parole, tempérée par une appaisante bonté. Si Gouvion Saint-Cyr ne fut jamais un courtisan, s’il ne recherchait pas les honneurs, les places, les titres, on peut affirmer sans crainte d’être démenti, que la maréchale ne fit rien pour modifier son comportement. Comme lui, elle avait en horreur la vie de représentation. Sous l’Empire, comme sous la monarchie, on n’entendait parler de la comtesse, et plus tard de la marquise de Gouvion Saint-Cyr. Aussi simple que l’était son mari, elle aimait l’intimité familiale. Sa plus grande joie était de s’occuper de ses terres de Reverseaux. Pendant les absences du maréchal, elle prenait en main la direction de l’exploitation, s’occupant de tout : cultures, plantations, élevage, entretient des chemins et des voies d’arrosage, conduite du personnel, tenue des comptes, etc…. Rien ne se faisait que sous ses directives ; elle avait pris son rôle tellement à coeur, que même quand son mari était là, elle n’en continuait pas moins à administrer Reverseaux. Tout porte à croire que Laurent et Anne formèrent un couple très uni. On peut supposer qu’Anne l’aimait davantage qu’il ne l’aimait lui même. Laurent devait manifester son amour à sa manière, sans montrer beaucoup de sentiments. Saint-Cyr était un homme froid, peu expressif. Les lettres qu’il adressait à Anne ne sont pas remplies de ces sentiments amoureux, de ces phrases tendres que l’on trouve dans celles qu’écrivaient à leurs femmes, Napoléon, Lannes ou Davout. Après son veuvage, la maréchale habituée qu’elle était aux responsabilités et à prendre des décisions, sut faire fructifier sa fortune et assurer l’avenir de son fils. Continuant à mettre en valeur les terres de Reverseaux et de Villiers, elle y adjoignit une grande forêt, proche de Reverseaux. Elle acheta aussi un hôtel à Paris. C’est là qu’elle mourut le 18/06/1844. Elle avait soixante-neuf ans.

Bien que les talents militaires de Gouvion-Saint-Cyr soient incontestables, c’est dans la carrière administrative qu’il acquit sa plus grande réputation. Plus qu’un homme de guerre, ce fut un grand ministre. Quel dommage que Napoléon ne lui ait pas confié le ministère de la Guerre pendant les Cent-Jours à la place de Davout, par exemple. Il est regrettable que l’Empereur n’ait pas mieux employé Saint-Cyr qui était l’un de ses meilleurs généraux ; l’un des rares qui soit capable de dresser un plan de bataille. Napoléon répugnait à lui donner des commandements, parce qu’il ne l’aimait pas, et il avait ses raisons. Gouvion, farouche républicain, affichait de façon trop ostensible son opposition au régime impérial ; il ne se génait pas pour critiquer et tenir des propos acerbes qui irritaient Napoléon. Saint-Cyr n’était pas le seul à critiquer, Augereau, Bernadotte, Brune, Jourdan montrèrent aussi leur opposition, mais ils s’y prenaient d’une autre manière, et l’Empereur passait l’éponge. Chez Gouvion, c’était son ton sarcastique, son ironie froide et méprisante qui le rendait antipathique. Il y avait autre chose, et cela Napoléon ne pouvait l’admettre : Saint-Cyr laissait battre ses camarades, sans tenter de leur porter secours ; de plus, il ne s’occupait nullement des besoins de la troupe. L’Empereur n’était pas le seul à détester Gouvion, c’était aussi le cas de ses camarades, comme de ses soldats qui l’avaient surnommé : “ le hibou ”. Il n’entretenait aucun rapport avec eux, ne leur adressait jamais la parole ; il les ignorait. Laissons parler Marbot : “ Jamais il ne s’informait si les soldats avaient des vivres, des vêtements, des chaussures, et si leurs armes étaient en bon état. Il ne passait aucune revue, ne visitait point les hôpitaux et ne demandait même pas s’il en existait ”. A Polotsk, il habita seul le couvent des jésuites, qui était immense, et refusa d’y héberger les blessés. Il y avait, dans les magasins, d’énormes réserves de vivre et de boisson ; il n’en laissa rien sortir, même pas pour les malades et les blessés des hôpitaux. Nous concluerons en citant l’honnête Macdonnald qui le connut bien : “ C’était un homme d’une grande capacité militaire, ferme d’un caractère entier, jaloux du mérite des autres ; il est connu et désigné dans l’armée sous l’expression vulgaire de mauvais coucheur. C’est le plus froidement du monde qu’il laissait battre ses voisins sans leur porter secours et les critiquer ensuite… On lui accorde en échange de l’esprit, du sang froid et une grande habileté ”.

Sabre Briquet

Chronologie

NE : le 13/04/1764 à Toul (Meurthe-et-Moselle).

MORT : le 17/03/1830 à Hyères (Var), à 66 ans, d’une crise d’apoplexie. Inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris, 37 division.

FAMILLE : Originaire de Lorraine.

PARENTS : Jean-Baptiste Gouvion, tanneur (1742-1821). Marié, le 08/02/1763, avec Anne-Marie Mercier-Saint-Cyr ; divorcé en 1795. Remarié avec Madeleine Frizy en 1804. Le maréchal étant issu du premier mariage.

FRERES : Deux frères : Louis et François.

EPOUSE : Anne Gouvion, sa cousine, née à Toul, le 02/11/1775. Décédée à Paris, le 18/06/1844 à 69 ans. Fille de François-Charles Gouvion, boucher et d’Anne Liouville.

MARIAGE : Célébré le 26/02/1795 à Toul.

ENFANTS : Laurent-François (1815-1904).

DESCENDANCE : La postérité de Gouvion Saint-Cyr se perpétue de nos jours par une nombreuse descendance masculine. Le titre de marquis étant toujours porté.

TITRES et FONCTIONS HONORIFIQUES.
– Gouverneur de Gênes en septembre 1799, à 35 ans.
– Conseiller d’état, section de la guerre, le 22/09/1800, à 36 ans.
– Ambassadeur en Espagne, le 02/11/1801.
– Comte de l’Empire en mai 1808, à 44 ans.

 

– Maréchal d’Empire, 24° dans l’ordre de promotion, le 27/08/1812, à 48 ans.
– Pair de France,, le 04/06/1814, à 50 ans.
– Ministre de la Guerre du 8 juillet au 25 septembre 1815, à 51 ans.
– Ministre de la Marine du 23 juin au 12 septembre 1817, à 53 ans.
– Créé marquis par Louis XVIII, le 31/08/1817.
– Ministre de la Guerre du 12/09/1817 au 18/11/1819, à 53 ans.

ETATS DE SERVICE.
– Volontaire au 1° bataillon de chasseurs républicains, le 01/09/1792, à 28 ans.
– Sergent-major, le 15/09/1792.
– Capitaine, le 01/11/1792.
– Adjudant-général chef de bataillon, le 12/09/1793.
– Adjudant-général chef de brigade, le 10/01/1794, à 30 ans.
– Général de brigade, le 05/06/1794.
– Général de division, le 10/06/1794.
– Commandant en chef de l’armée de Rome, le 26/03/1798, à 34 ans.
– Colonel général des cuirassiers, le 06/07/1804, à 40 ans.
– Commandant l’armée de Naples du 23/12/1805 au 09/01/1806.

– Commandant l’armée de Catalogne, le 17/08/1808, à 44 ans.

DECORATIONS.
– Grand Aigle de la Légion d’Honneur, le 02/02/1805.
– Grand Croix de l’Ordre de Saint-Louis, en 1817.

BLESSURES.
– Blessé à Polotsk, le 18/08/1812.
– Blessé très grièvement d’une balle au pied, le lendemain, toujours à Polotsk.

CAMPAGNES.
– Armée du Rhin (1794-1795).
– Campagne d’Italie (1792).

 

– Campagne de Prusse (1806-1807).
– Campagne d’Espagne (1808-1809).
– Campagne de Russie (1812).
– Campagne d’Allemagne (1813).
Le nom du maréchal Gouvion Saint-Cyr est inscrit au côté Est de l’Arc de Triomphe de l’Etoile.

Sabre Briquet