Aigle impérial

Jean Lannes (né le 10 avril 1769 à Lectoure (Gers), mort le 31 mai 1809 à Ebersdorf après la bataille d’Essling du 22 mai où il fut blessé à la fin des combats, maréchal d’Empire, prince de Sievers, duc de Montebello.

 

Lannes, au courage légendaire, est peut-être le meilleur ami de Napoléon. Ce dernier excuse ses manières franches, parfois brutales, son manque d’éducation. Il dira de lui : «Chez Lannes, le courage l’emportait d’abord sur l’esprit ; mais l’esprit montait chaque jour pour se mettre en équilibre ; je l’avais pris pygmée, je l’ai perdu géant».

 

Ascension avant la rencontre avec Bonaparte

Jean Lannes est né le 10 avril 1769, de Jean Lannes, trafiqueur, c’est-à-dire marchand de biens à une échelle modeste, et de Cécile Fouraignan. Cinquième enfant d’une fratrie de huit (il a quatre frères et trois sours). L’aîné, Bernard, fut doté d’une bonne instruction, entra au séminaire et devint prêtre. Jean fut mis en apprentissage chez un teinturier. Il apparaît dans l’histoire, officiellement, avec un grade de sous-lieutenant de grenadiers par élection, en 1792.

 

Comme l’accès à des grades élevés ne se faisait qu’en fonction de la position sociale, il est peu probable qu’il l’ait obtenu d’emblée. On suppose donc qu’il a eu un engagement antérieur : soit qu’il se soit engagé dans l’armée, et qu’il l’ait quittée à la suite d’un duel, soit qu’il se soit engagé en 1791 dans la garde nationale de Lectoure. Ayant une première fois quitté l’armée, il fut exhorté par un marchand drapier nommé Guilhon, à y retourner. Comme bon nombre de ses camarades, il rejoint rapidement le 2e bataillon de volontaires du Gers basé à Auch pour compléter son instruction, puis au camp du Mirail près de Toulouse, où il côtoie Augereau, alors adjudant-général, c’est-à-dire colonel d’état-major. Il est donc élu sous-lieutenant de ce bataillon le 20 juin de cette même année. Ce bataillon est affecté à l’armée des Pyrénées orientales.

 

À la mi-mai 1793, le jeune sous-lieutenant se fait remarquer au poste de Saint-Laurent-de-Cerdans, proche du col de Coustouge. Les Gersois à peine arrivés sont délogés et mis en fuite par les Espagnols. Jean Lannes, dont c’est le baptême du feu, les harangue avec ardeur et réussit à rallier les fuyards pour retourner à l’offensive. Surpris, les Espagnols sont culbutés. Il montre la même ardeur dans la suite des opérations, notamment à la bataille de Peyrestortes, et est promu lieutenant le 25 septembre 1793, puis à peine un mois après le 31 octobre, capitaine. Il participe ensuite activement aux combats de Port-Vendres puis à Banyuls où il est blessé. Jean Lannes est envoyé en convalescence à Perpignan.

 

Durant cette période, l’armée française subit de lourds revers ce qui conduira le général Basset à lui envoyer une dépêche. Jean Lannes, qui n’appréciait pas spécialement l’inaction, accourt pour recevoir le commandement de l’avant-garde française à la prochaine bataille : Villelongue. Longtemps indécise, la bataille tourne à l’avantage des Français quand ceux-ci prennent d’assaut une redoute puissamment fortifiée sur laquelle butait l’armée française, et l’empêchait de prendre la ville. Ce succès lui vaut d’être nommé chef de brigade (équivalent de colonel sous la Révolution) peu de temps après le 23 décembre 1793. Sa blessure n’est cependant pas guérie et après ce succès il doit regagner Perpignan pour finir de la soigner. Il y rencontre sa première femme Jeanne-Joseph-Barbe Méric, souvent surnommée Polette, fille d’un riche banquier. Le mariage a lieu le 19 mars 1795.

 

Le théatre d’Arcole

Le 15 septembre 1796, Lannes est blessé à la jambe lors du combat de Governolo, il rejoint donc l’infirmerie à Milan. Face à la menace que représentent les hommes d’Alvintcy, Bonaparte fait retraite, il quitte Vérone de nuit en y laissant 3 000 hommes sous les ordres de Kilmaine, laissant également Vaubois seul face à 18 000 autrichiens. La retraite prend le chemin du sud en suivant l’Adige vers Mantoue. Mais cette retraite n’en est pas une. Bonaparte fixe son quartier général à Ronco, au sud est de Vérone et traverse l’Adige sans difficulté. La division d’Augereau se presse vers Arcole tandis que André Masséna remonte sur l’autre rive. En ce qui concerne Lannes, on ne sait pas exactement quant il rejoint l’armée.

 

Néanmoins, ayant appris la reprise des hostilités, on sait qu’il franchit l’Adige au sein de la division de son ancien compagnon des campagnes pyrénéennes : Augereau. La volonté de Bonaparte est claire : partant du constat que les divisions d’Augereau et Masséna n’arrivent pas à vaincre Alvintcy en plaine et qu’il n’est pas question d’espérer quoi que ce soit si Davidovitch le rejoint, il décide d’agir au plus vite pour forcer le destin et jouer le sort de l’armée d’Italie avec 18 000 hommes. Pour cela, il faut couper les communications d’Alvintcy et le prendre à revers dans une zone marécageuse située à l’est de Vérone, espérant ainsi que la supériorité des autrichiens sera moins nette. Adolphe Thiers résume ainsi cet espoir que le combat dans une zone de marais atténue la loi du nombre.

 

: Voici quel avait été son calcul : au milieu des marais, l’avantage du nombre était tout à fait annulé; on ne pouvait se déployer que sur des chaussées, et sur les chaussées, le courage des têtes de colonnes devait décider de tout. Pour que cette opération réussisse, il faut l’exécuter avec rapidité pour espérer tourner les autrichiens avant qu’ils ne s’en rendent compte. Le village d’Arcole se situe dans une zone marécageuse, si bien que l’on circule principalement sur des digues. Pour pénétrer dans ce village, il faut prendre le chemin suivant : marcher pendant environ 200 mètres sur une digue le long de l’Alpone, un affluent de l’Adige, puis passer par un pont de pierre et de bois qui conduit à Arcole.

 

C’est donc dans ce décor que va s’engager la bataille d’Arcole.

Malgré le courage et la détermination des généraux, le village semble imprenable, d’autant que les croates reçoivent des renforts. Le pont d’Arcole est plus difficile à franchir que le pont de Lodi. Et cela est valable pour Lannes. Nous savons qu’il a rejoint l’armée à peine guéri, il est dès le 15 novembre à la tête de ses hommes pour tenter d’enlever le village. Mais il est à nouveau blessé et dirigé vers Ronco pour y recevoir des soins. Lannes est donc hors de combat. Mais pour l’armée française, le problème demeure, il faut prendre ce village. Alors, devant cet échec, le général Augereau s’énerve, saisit un drapeau et s’élance en tête mais cela reste sans effet. Cette charge désespérée a le mérite de nous montrer l’état de l’armée et la situation difficile, voir compromise, dans laquelle se trouvent les français. A tel point que Bonaparte décide de prendre les choses en main.

 

Bonaparte est présent sur la digue devant le village avec tout son état major. Sulkowsky nous raconte la suite : « En attendant, le général en chef, instruit de l’état des affaires, s’était déjà avancé lui même à moitié chemin : on lui apprend les pertes irréparables qu’on vient de faire, l’obstination des ennemis, le découragement de nos soldats, le combat était engagé il fallait vaincre ou périr, et il prend un parti digne de sa gloire. Nous le voyons tout à coup paraître sur la digue, entouré de son état-major et suivi de ses guides, il descend de cheval, tire son sabre, prend un drapeau et s’élance sur le pont au milieu d’une pluie de feu. Les soldats le voient et aucun d’eux ne l’imitent. » Comme beaucoup de ceux qui entourent Bonaparte à ce moment, c’est à dire son état major et ses guides, Sulkowsky est lui aussi blessé. C’est au moment de la retraite de Bonaparte qui s’effectue dans un certain désordre que Lannes arrive à cheval à Arcole et part à la charge pour tenter de protéger son chef dont la retraite se transforme peu à peu en déroute. Il est évident qu’un homme à cheval est une cible parfaite pour les autrichiens. Lannes est blessé une troisième fois dans cette journée et il est emmené définitivement à l’hôpital. Il ne prendra pas part au combat du lendemain ni à la victoire du 17 novembre 1796.

 

La campagne d’Égypte

Après un court intermède, Lannes est chargé par Bonaparte de préparer à Lyon la partie pratique (matériel) de la campagne d’Égypte. Arrivée en Égypte en 1798, l’armée française prend Alexandrie. Lannes, général de brigade, est sous le commandement du général Dugua. Un peu plus tard, il assiste en spectateur à la bataille des Pyramides, la division Dugua n’ayant pas « donné » durant cette bataille. L’armée française s’engage ensuite en Syrie, prend Jaffa, mais ne parvient pas à prendre Saint-Jean d’Acre. Durant ce siège, Lannes, profitant d’une brèche, s’élance avec des troupes dans celle-ci. Cette offensive échoue, et Lannes est gravement blessé au cou dans l’affaire. Il est sauvé in-extremis par un capitaine qui le ramène à l’arrière, où il est soigné par Dominique Larrey. Bonaparte le nomme peu après, de son propre chef, général de division.

 

Lors de la seconde bataille d’Aboukir, peu après, Lannes apporte sa contribution et est de nouveau blessé, à la jambe cette fois. Il est encore une fois soigné par Larrey (Lannes commençait, d’après les mémoires de Larrey, à développer le tétanos) ; il apprend peu après, dans l’hôpital d’Alexandrie, que sa femme a accouché d’un garçon… les mariés étaient, semble t-il, séparés depuis plus longtemps que neuf mois. En 1799, Lannes retourne en France avec Bonaparte. Il entame des procédures de divorce d’avec Polette Méric et apprend la mort de sa mère. En effet, la fausse nouvelle de la mort de Jean Lannes au siège de Saint-Jean d’Acre avait été diffusée en France et la pauvre femme était, dit-on, morte de chagrin. Lannes participa ensuite aux préparatifs du 18 brumaire, mais pas à son exécution car Bonaparte ne voulut pas que Lannes vienne, ses blessures le faisant souffrir.

 

Parcours Militaire du Consulat à l’Empire

La deuxième campagne d’Italie terminée, Bonaparte nomma Lannes chef de la garde consulaire, avec mission d’en faire le plus beau corps d’armée de la République. Il y réussit, mais dépassa de 400 000 francs la somme qui lui était allouée pour cette tâche, faisant confiance à Bonaparte, qui lui avait donné l’assurance que rien n’était trop beau pour la garde. Bonaparte le somma alors de rembourser la somme, sous peine de passer en conseil de guerre. Il fut sauvé par Augereau qui la lui préta. Bonaparte l’envoya tout de même au Portugal, en tant qu’ambassadeur. Face à la forte influence anglaise qui prévaut à Lisbonne, Lannes eut une réaction peu diplomatique, il rentra à Paris. Puis, retourné à son poste, il finit par retourner la situation en sa faveur. Il obtint un traité fort avantageux pour la France.

 

Peu après le coup d’État de Bonaparte, Lannes s’était marié à une jeune fille, issue d’une vielle famille bretonne. Elle s’appelait Louise-Antoinette Scholastique Guéhéneuc. Il formèrent un couple heureux et eurent cinq enfants qui s’appelaient Napoléon, Alfred, Ernest, Gustave et Joséphine. En 1804, Lannes fut nommé maréchal et peu après rentra du Portugal. À partir de 1804, le maréchal Lannes commande le 5e corps de la Grande Armée. Lors de la campagne qui déboucha sur Austerlitz, Lannes et Murat prirent le pont de Vienne sans qu’une goutte de sang ne soit versée, en faisant croire au Général d’Auersperg qu’un armistice avait été signé. Pendant la bataille d’Austerlitz, il s’illustra en écrasant le corps d’armée russe du prince Bagration, à la gauche de l’armée française. Lors de la campagne de Prusse de 1806, Lannes permit à Napoléon de gagner à Iéna en l’informant de la découverte d’un sentier menant au Landgrafenberg, hauteur surplombant les positions prussiennes.

 

La bataille d’Essling

Après la prise de Ratisbonne, c’est la bataille d’Essling. Le 22 mai, alors qu’il est sur le point de vaincre les Autrichiens près de Vienne à Aspern-Essling, il reçoit l’ordre de s’arrêter par suite d’une rupture du ravitaillement. Lors de cette courte accalmie, il se promène sur le champ de bataille avec son ami le général Pouzet, qu’il connait depuis seize ans ; celui-ci est tué sous ses yeux, atteint à la tête par une balle perdue. Bouleversé, Lannes s’éloigne du cadavre et va alors s’assoir sur une petite butte. Là, un petit boulet de trois livres, après avoir ricoché, vient le frapper à l’endroit où ses genoux sont croisés. Sa rotule gauche est brisée, les os sont fracassés, les ligaments, déchirés et les tendons, coupés. L’artère poplitée est rompue. Quant à la jambe droite, elle a le jarret déchiré. Transporté sur une île du Danube, l’île Lobau, il y est amputé de la jambe gauche par Dominique-Jean Larrey, le chirurgien de la Garde.

 

Après quatre jours, où l’état du maréchal parait satisfaisant, donnant à penser qu’il allait survivre à l’opération, Lannes est pris brutalement de fièvres et de délires. Son état s’aggrave et aucun des médecins présents, Larrey, Yvan, Paulet et Lannefranque, ne peut le sauver de la gangrène qui s’est déclarée. Le 29 mai, Napoléon, extrêmement affecté, restera une demi-heure au chevet de son ami. Jean Lannes meurt dans la nuit du 30 au 31 mai, à cinq heures quarante cinq. Son corps est inhumé au Panthéon. Sa veuve, dame d’honneur de l’Impératrice Marie-Louise, refusera tout nouveau mariage.

 

Lannes a démontré des qualités d’attaquant (Saragosse, Montebello), de chef d’avant-garde (Friedland, Aspern-Essling) ou de manouvrier (Ulm, Iéna) qui en font, avec Davout, l’un des meilleurs commandants dont ait disposé Napoléon. Son courage physique, ses capacités de meneur d’hommes, son attention au sort de ses soldats le faisaient adorer de ses troupes. D’un tempérament susceptible et coléreux, fier de son franc-parler, il a eu maintes disputes avec Napoléon à qui il a dès 1805 recommandé une politique de paix. Les deux hommes sont toutefois restés amis jusqu’au bout et Napoléon fut très attristé par la mort prématurée du Maréchal (qui n’avait que 40 ans).

 

Selon un témoin, l’Empereur pleura lors du dîner. Comme plusieurs maréchaux sortis du rang (Augereau, Oudinot, Lefebvre.), il déteste la Cour impériale qui le lui rend bien. Fait duc de Montebello puis prince de Sievers, il refuse toujours de porter ce dernier titre, préférant sa vie de famille à l’idée de se prendre pour un prince. Il demeure cependant d’une fidélité sans faille à la personne de Napoléon qui savait pouvoir compter sur celui que ses soldats appelaient le « Roland de l’Armée ». Lannes est jusqu’à sa mort le seul des maréchaux à tutoyer son Empereur.

 

Lannes, le plus brave de tous les hommes était assurément un des hommes au monde sur lesquels je pouvais le plus compter. L’esprit de Lannes avait grandi au niveau de son courage, il était devenu un géant . Lannes, lorsque je le pris pour la première fois par la main, n’était qu’un ignàrantaccio. Son éducation avait été très-négligée ; néanmoins, il fit beaucoup de progrès, et, pour en juger, il suffit de dire qu’il aurait fait un général de première classe. Il avait une grande expérience pour la guerre; il s’était trouvé dans cinquante combats isolés, et à cent batailles plus ou moins importantes.

 

C’était un homme d’une bravoure extraordinaire : calme au milieu du feu, il possédait un coup d’oeil sûr et pénétrant, prompt à profiter de toutes les occasions qui se présentaient, violent et emporté dans ses expressions, quelquefois même en ma présence. Il m’était très-attaché. Dans ses accès de colère, il ne voulait permettre à personne de lui faire des observations, et même il n’était pas toujours prudent de lui parler, lorsqu’il était dans cet état de violence. Alors, il avait l’habitude de venir à moi, et de me dire qu’on ne pouvait se fier à telle et telle personne. Comme général il était infiniment au-dessus de Moreau et de Soult.

Sabre Briquet