André Masséna
Masséna a des talents militaires devant lesquels il faut se prosterner
Napoléon
André Masséna, l’un des meilleurs maréchaux de l’Empire, était maigre, sec, de taille moyenne : 1 mètre 72. Ses cheveux noirs et broussailleux surmontaient un visage énergique au type italien. Laissons parler le général Thiebault : » Masséna n’avait ni éducation, ni instruction première, mais son regard était ceui de l’aigle ; il avait dans la pose de la tête, toujours élevée et un peu renversée vers la gauche, une dignité imposante et une audace provocatrice ; son geste était impératif, son ardeur, son activité indicibles ; sa parole brève à l’extrême prouvait la lucidité de ses pensées ; ses moindres mots étaient saillants et la rapidité comme la justesse de ses réparties achevaient de prouver qu’il pouvait s’élever encore sans cesser d’être à sa place. Par son caractère s’était un homme fait pour l’autorité et le commandement. «
Masséna naquit à Nice, le 6 mai 1758. A cette époque, Nice faisait donc partie du royaume de Sardaigne, Masséna était don sujet Sarde. Ses parents et ses ancêtres, originaires du Piémont, habitaient Levens, village de la Vésubie, à une vingtaine de kilomètres de Nice – on peut y voir encore la maison familiale -. Le premier ancêtre connu, Jean Honoré, y vivait vers 1550. Ses descendants furent de petits propriétaires ruraux, jusqu’à Dominique, le grand père de Masséna qui, vers 1720, décida de quitter Levens, et d’abandonner le travail des champs, pour s’établir commerçant à Nice. Son fils Jules César après avoir servi dans les troupes du roi de Sardaigne, continua à travailler dans le commerce et dans le négoce. En 1754, il épouse la fille d’un armateur toulonnais : Catherine Fabre. Le couple qui vit dans une certaine aisance, peut élever convenablement ses six enfants : Marie Lucrèce, Marie Anne, André, Jean, Dominique et Marguerite Rose ; le futur maréchal est donc le troisième enfant, et l’aîné des garçons. La prospérité du mariage ne durera pas : Jules César meurt en 1764, à trente trois ans, emporté par la tuberculose. André a six ans seulement à la mort de son père, sa mère se remariera rapidement et abandonnera ses enfants, qui seront recueillis par divers membres de la famille. André est confié à sa grand mère maternelle qui habite Levens.
Comme Napoléon, le jeune Masséna fut un enfant turbulent, ne rêvant que plaies et bosses, jouant à la petite guerre avec ses camarades, courant la campagne à longueur de journées. D’école : point ! Il ne sait ni lire, ni écrire. Il faut pourtant travailler. Des parents, boulangers, le prennent comme apprenti, mais ce garçon impétueux supporte mal cette vie monotone, il quitte sa grand mère et retourne à Nice, où il va vivre et travailler chez son oncle, Augustin, qui tient une fabrique de savon – ou de pâtes alimentaires – les deux peut être. Le travail est dur, et l’oncle à la main leste ! André occupe ses heures de liberté à fréquenter des chenapans, il subit l’influence néfaste de son cousin Francois. A treize ans, il s’échappe de Nice, avec Francois, pour se rendre à Toulon où il s’engage, comme mousse, à bord d’un navire marchand en partance pour l’Amérique.
André a maintenant quatorze ans, il est d’une nature chétive, la rude, misérable et dangereuse vie de mousse va endurcir son corps, comme son caractère. Pendant quatre ans, il sillonne l’Atlantique et la Méditerranée. A son retour à Toulon, en 1775, il ne renouvelle pas son engagement. Que va t ‘il faire ? Il ne sait. Le hasard va le favoriser en le faisant rencontrer un oncle, un frère de son père, qu’il connait à peine : l’oncle Marcel. Sergent recruteur au Royal Italien, il conseille à son neveu le métier des armes. André accepte avec joie et, le 18 août 1775, il s’engage dans ce régiment où servit autrefois son père. L’oncle Marcel, contrairement à l’oncle Augustin, s’occupera sérieusement de son neveu, il le guidera, par ses bons conseils, dans sa carrière militaire. Il s’attachera aussi à donner quelque instruction à cet illettré, en lui enseignant la lecture, l’écriture, la grammaire, l’orthographe et le calcul.
André travaille avec application et volonté, il fera de rapides progrès ; toutefois, il ne parviendra jamais à avoir une orthographe correcte. Les quatre années passées en mer ont assagi André, il est devenu sérieux, et courageux au travail. Au bout d’un an, il est nommé caporal et l’année suivante, sergent. Il restera dans ce grade jusqu’en 1783 où il passe sergent fourrier, puis adjudant sous officier, le 4 septembre 1784. André continue à s’instruire, ce qui ne l’empêche pas d’apprécier les joies de la vie de garnison. Avantagé par un physique agréable, et le prestige de l’uniforme aidant, il fait de nombreuse conquêtes, il en fera d’ailleurs pendant toute sa vie. Comme ce fut le cas pour Napoléon avec » Madame sans Gêne « , si l’on en croit Victorien Sardou, Masséna contracta à Toulon quelques dettes avec Clairette, tenancière d’une guinguette où il se rendait fréquemment pour y savourer sa bonne cuisine. Plus tard, le maréchal Masséna, alors duc de Rivoli et prince d’Essling, passant à Toulon, retournera voir Clairette : il lui réglera plus qu’honorablement, la dette de l’adjudant Masséna !
Révolution & campagne d’Italie
A la veille de la Révolution, la franc maçonnerie s’implante de plus en plus en France, particulièrement dans l’armée ; se laissant convaincre par un ami, André s’affilie à la » Loge de la Parfaite Union « . Le Royal Italien, devenu régiment des chasseurs royaux de Provence, quitte la garnison de Toulon pour s’installer à Antibes . Pendant son séjour dans cette ville, Masséna se fera des relations, particulièrement celle d’un chirurgien, Joseph Lamarre, qui a une fille : Rosalie. Celle ci s’éprend rapidement de cet adjudant, beau parleur, si bien sanglé dans son uniforme. Masséna se rend compte des sentiments qui agitent le cœur de la jeune fille, sa conquête sera facile. Les parents ayant donné leur accord, le mariage sera célébré le 10 août 1789.
Quelques jours avant, le 3, Masséna avait quitté l’armée, au terme de son engagement qu’il ne renouvelle pas. Maintenant, sans autre ressource que sa maigre retraite de sous officier, il lui faut pourtant subvenir aux besoins du ménage. Il ne faut pas compter sur son beau père dont la fortune supposée est illusoire, au point de n’avoir pu constituer une dot à sa fille. Le jeune couple décide d’ouvrir une boutique d’huile, sucre et fruits secs. Mais le commerce marche mal, les bénéfices sont réduits, insuffisants : on ne peut continuer. Masséna cherche une solution. Il n’a pas de métier, aucune formation professionnelle, une seule chance s’offre à lui : contracter un nouvel engagement. Nous sommes en 1790, la Révolution est commencée, le fait de ne pas être noble n’empêche plus d’accéder au grade d’officier, il est maintenant possible pour un roturier, de faire carrière dans l’armée. Masséna se fait admettre dans la Garde Nationale que vient de former la municipalité d’Antibes ; il est aussitôt élu capitaine instructeur. Le 21 septembre 1791, il s’engage dans le 2 ème bataillon de volontaires du Var. Le 1 er février 1792, il est élu lieutenant colonel en second et, six mois plus tard, lieutenant colonel en premier. C’est à ce moment que débute la glorieuse carrière du futur maréchal .
Après avoir été chargé de réprimer une émeute à Levens, le pays de son enfance, Masséna retourne à Nice où la population s’est révoltée contre les forces françaises qui viennent de conquérir la ville. Masséna fait maintenant partie de l’armée d’Italie. Il combat les Sardes, et aussi les Barbets, ces paysans qui livrent une guérilla continuelle dans l’arrière pays niçois. Nommé commandant de camp de la Fougasse, c’est son premier commandement de camp important, il remplace le général Dortoman qu’il a reçu l’ordre d’arrêter. Le 22 août 1793, Masséna est promu général de brigade. Le 14 décembre, il est envoyé à Toulon, où il participe activement à la reprise de la ville aux anglais, notamment en s’emparant des fort Lartigue et Sainte Catherine. Ce brillant comportement est récompensé, le 20 décembre, par les épaulette de général de division à titre provisoire ; cette nomination sera confirmée, le 29 août 1793. Commandant de Toulon, le 22 décembre, il est désigné quelques jours plus tard, pour diriger l’aile droite de l’armée d’Italie.
A ce poste, il se distingue en s’emparant d’Ormea et de Garessio. Le 8 mai 1794, il occupe le col de Tende. Placé à la tête de la division d’Albenga, il s’empare de Dego, le 22 septembre. Le 22 décembre, il doit quitter son commandement pour cause de maladie : il retourne à Nice. Masséna ne reprendra son activité qu’en avril 1795,pour commander la première division de l’aile droite de l’armée d’Italie. Il reçoit ensuite le commandement de l’avant-garde de l’armée avec laquelle il combat Montenotte, où il décide de la victoire, à Dego et à Cheraso dont il se rend maître. Nommé commandant de la 3 ème division, il enlève le pont de Lodi, le 10 mai 1796, en chargeant à la tête de ses troupes. La victoire de Lodi ouvre la porte de Milan aux armée de la République. C’est à Masséna qu’est dévolu l’honneur de rentrer le premier dans Milan, le 11 mai. Il occupe ensuite Verone et continue à se battre, avec une intrépidité qui force l’admiration, à Castiglione, à Bassano, Saint Georges, Caldiero, Arcole.
Cependant c’est à Rivoli, le 14 janvier 1797, qu’il acquit la gloire, en prenant la plus grande part à cette mémorable victoire, qui lui vaudra plus tard le titre de duc de Rivoli. Le surlendemain, Masséna renouvelle ses exploits à La Favorite. C’est là que Bonaparte en le félicitant, lui dira : » Vous êtes l’enfant chéri de la victoire « . Cette flatteuse appellation, qui le désignera à la postérité, sera par la suite, transformée ironiquement en : » enfant pourri de la victoire « , en raison de ses trafics avec les fournisseurs, et des scandaleux profits réalisés sur les pays occupés. Après ces succès remportés par les armes françaises, les autrichiens sont contraints à signer, le 18 avril, les préliminaires de Leoben qui mettent fin à la campagne. Le soir même, Masséna reçoit l’ordre de se rendre à Paris pour remettre au Directoire, les documents secrets de ces préliminaires. Le 23, après avoir reçu les instructions directes de Bonaparte, il part en chaise de poste, via l’Allemagne, pour accomplir sa mission. A son arrivée à Paris, où il vient pour la première fois, il est accueilli avec les plus grands honneurs et fêté comme un héros. Les Directeurs le reçoivent solennellement au Luxembourg. Là, après les élogieux discours officiels, il est mis en contact avec la gentry de la capitale. Ce ne sont que des compliments, des propos flatteurs, les sourires provoquants des Merveilleuses, que reçoit, ébloui, l’ancien petit mousse.
Le séjour à Paris de Masséna coïncide avec le renouvellement annuel du pouvoir exécutif. Le tirage au sort a éliminé Letourneur, l’ancien conventionnel, il faut désigner un candidat pour le remplacer. Le conseil des Cinq Cents présente le marquis de Barthélémy, diplomate, connu pour ses opinions royalistes. Les membres restant du Directoire, qui redoutent un retournement monarchiste, cherchent un candidat au républicanisme indiscuté, auréolé d’un certain prestige. Barras, toujours fin manoeuvrier en politique, propose Masséna dont la subite popularité est immense. Après quelques résistances, le héros de Rivoli donne son consentement. Déception : Masséna ne sera pas élu. Il n’arrivera qu’en sixième position avec 187 voix, c’est Barthélémy qui l’emporte avec 309 voix. Barras ne se décourage pas, pour maintenir la République, il faut recourir à un coup d’état ; pour cela, il est nécessaire de s’assurer le concours d’un général bénéficiant d’une popularité incontestée. Après avoir pesé le pour et le contre, il choisit Masséna et s’efforce de le convaincre. Barras devra renoncer à son projet : » l’enfant chéri de la victoire » ne possède aucune des qualités requises pour tenir le rôle qu’on lui demande ; c’est un guerrier de grande valeur, mais uniquement un guerrier.
Sa mission à Paris étant accomplie, ses essais dans la carrière politique ayant échoués, Masséna reprend le chemin de l’Italie, pour se rendre au château de Mombello, où Bonaparte tient une véritable cour, afin de lui remettre la ratification des accords de Leoben. Quelques jours plus tard, il part rejoindre sa division à Padoue et s’installe au somptueux palais Frijimilica. Masséna trouve une ville livrée au pillage : les églises sont dépouillées, des contributions énormes ont été prélevées sur les habitants, sans que l’on sache où est passé l’argent. Masséna bien loin de remettre de l’ordre, continue le pillage à son profit : sous la menace il lève les indemnités pour son propre compte. Le 3 février 1798, il est désigné pour occuper les Etats Pontificaux. Arrivé à Rome, il y trouve la même situation qu’à Padoue. Là encore, il se sert en premier, pillant sans vergogne les trésors des églises. Prenant en otage les grandes familles, il les libère en leur faisant verser de substantielles finances ; le prince Borghèse, le futur mari de de Pauline Bonaparte, est taxé de trois cent mille francs. Tous ces profits devaient être versés à l’armée pour son équipement, sa nourriture, pour la solde, surtout, qui n’était plus payée. Or la troupe ne toucha rien ! Le futur maréchal garda pour lui tout cet or ! Une rébellion éclata, des plaintes furent formulées, on réclama son remplacement. Devant la force, Masséna dut sortir de Rome, laissant le commandement au général Dallemagne. Le Directoire, mis au courant, le relève de ses fonctions, le 15 mars, et le remplace par Gouvion Saint Cyr. Prié de se rendre à Gênes, il y trouve l’ordre de se retirer à Antibes.
Le 16 août, Masséna reprend du service dans l’armée de Mayence. Le 9 il est nommé commandant en chef de l’armée d’Helvétie, mais il est subordonné à Jourdan, qui commande, en même temps, l’armée de Mayence. Après avoir envahi le pays des Grisons et s’être emparé de Coire, il est appelé à remplacer Jourdan au commandement des armées du Danube, ancienne armée de Mayence, et d’Helvétie. Masséna va se couvrir de gloire en remportant sur les russes, la célèbre bataille de Zurich qui dura deux jours, les 25 et 26 septembre 1799, et qui eut pour résultat, la dissolution de la coalition austro – russe. Cette victoire qui va sauver la France de l’invasion, fut obtenue après une campagne remarquablement menée par Masséna qui s’impose, avec Bonaparte, comme le meilleur général de la République. L’ennemi a laissé 6 000 morts et 100 canons sur le champ de bataille des milliers de soldats sont fait prisonniers. Hélas ! la gloire du vainqueur sera ternie, comme à Rome, par le pillage en règle de ces malheureux suisses qui ont subi, bien malgré eux, les misères de cette guerre. Bonaparte, de retour d’Egypte, s’achemine vers Paris. Le 9 novembre, c’est le coup d’Etat du 18 brumaire Masséna, sans prendre position, y est personnellement hostile. Le 11, le Consulat est proclamé. Douze jours plus tard, Masséna est nommé commandant de l’armée d’Italie, en remplacement de Championnet victime d’une épidémie de typhus. Il se rend aussitôt à Paris pour y prendre les ordres du Premier Consul, mais aussi pour y réclamer des renforts et des subsides, son armée se trouvant dans le plus grand dénuement. Masséna quitte la capitale, le 27 décembre, pour se rendre à Nice où il établit son quartier général. Il part ensuite pour Gênes, afin de mettre la ville en état de soutenir un siège.
Le 5 avril 1800, les autrichiens passent à l’attaque et coupent l’armée d’Italie, en séparant Soult et Suchet de Masséna. Celui -ci est contraint de s’enfermer dans Gênes. Il y tiendra un siège héroïque pendant deux mois : du 5 avril au 4 juin. La ville est entouré par 30 000 autrichiens, commandés par le général Mélas ; l’escadre anglaise bloque le port, le ravitaillement est pratiquement impossible, par terre, comme par mer. Au fur et à mesure que passent les semaines, la disette, puis la famine, rendent le siège insoutenable. On mange les chevaux, les chiens, les chats, les rats ; les crapauds même. On s’arrache l’herbe des remparts pour en faire des bouillons Les soldats, affaiblis par de si cruelles privations, ne sont plus en état de combattre : c’est une armée de spectres ! Le 30 mai, le général Mélas écrit une lettre à Masséna pour l’engager à la reddition. Rendant hommage à son courage et à sa ténacité, il lui propose une capitulation des plus honorables. Le 3 juin, Masséna envoie un officier pour entamer les négociations. Le rusé niçois le prend de haut : il ne demande pas, il exige. Il conditionne la reddition : la sortie de la garnison se fera avec ses armes et ses bagages. Il précise qu’il se réserve de reprendre le droit des hostilités. Ces conditions sont acceptées par Mélas et, le 6 juin, la petite armée de Masséna évacue Gênes.
Plus que Rivoli, plus que Zurich et qu’Essling, ce siège mémorable, unique dans l’histoire, consacrera à tout jamais, la gloire de Masséna Après quelques jours passés à Nice, Masséna se rend à Milan, où il est chaleureusement reçu par Bonaparte qui le félicite, et lui témoigne son estime en lui confiant, le 24 juin, le commandement en chef de l’armée d’Italie, augmentée de l’armée de réserve qui est sous les ordres de Brune, ce qui porte les effectifs à 80 000 hommes. Masséna ne conservera cet important commandement que pendant deux mois. Le 13 août, le Premier Consul lui fait savoir qu’il est remplacé par Brune, et l’engage à venir à Paris, ou à s’y retirer pour se reposer : » L’intention du Premier Consul est d’employer votre zèle et vos talents d’une manière différente et également utile à la République « . Elégante façon d’annoncer ce qui est bel et bien une destitution. Bonaparte a pris cette sévère mesure pour sévir contre l’insatiable cupidité de Masséna qui a renouvelé, à Milan, ses malhonnêtetés de Padoue et de Rome.
Masséna se rend d’abord à Antibes, auprès de sa femme et de ses enfants. Il se reposera, dans la quiétude familliale, jusqu’à la fin de l’année 1800. Après quoi, il part pour Paris, où il va mener une vie de plaisirs, faisant bonne chère, ce dont il est très friand ; par contre, il est très sobre sur la boisson. Fréquentant les grands restaurants, courant les spectacles, et aussi les belles actrices peu farouches, Masséna passe une bien agréable disgrâce. C’est vers cette époque, en 1801 exactement, que Masséna achète le château de Rueil avec le fruit de ses rapines, mais aussi, il faut bien le dire, avec ses importants émoluments de général d’armée, augmentés d’une pension annuelle de 30 000 francs que lui a accordé le gouvernement Consulaire, le 23 septembre 1800. Ce château, splendide demeure historique appartint autrefois au cardinal de Richelieu, Masséna dont l’avarice est proverbiale, n’hésitera pas à dépenser d’énormes sommes pour l’embellir, ainsi que son parc somptueux. C’est là qu’il va se délasser après les festivités de sa vie parisienne. La propriété est voisine de la Malmaison, sise également dans la commune de Rueil ; Masséna s’y rendra souvent pour faire sa cour au Premier Consul. Les travaux d’aménagements terminés, il fera venir d’Antibes sa famille, car bien qu’il soit un impénitent coureur de jupons, il n’en reste pas moins bon époux et père attentif.
Le 18 avril 1802, Bonaparte, pour fêter le vote du concordat par le Corps Législatif, fait célébrer un Te Deum à Notre Dame : ce concordat si violemment critiqué par les généraux jacobins, farouches anticléricaux. Voici, maintenant, que le Premier Consul les oblige à assister à cette cérémonie religieuse, certains la qualifieront de » belle capucinade « . Il se rendront, bien contre leur gré, à Notre Dame où ils manifesteront leur dépit par un comportement scandaleux et des propos de corps de garde. Estimant que les places qui leur ont été réservées ne conviennent pas au rang qu’ils occupent, ils expulsent, sans ménagement, les chanoines de leurs sièges. Masséna, chez qui l’éducation fera toujours défaut, chassera, sans ménagement l’un d’eux, un respectable vieillard, en répondant à ses protestations : » Va te faire foutre ! » Le Premier Consul va calmer ces forts en gueule, en leur donnant de hauts commandements, voire des ambassades ; leurs convictions s’effaceront vite devant leur orgueil.
Toutefois, Masséna toujours en disgrâce, n’obtient rien, si ce n’est un magnifique sabre d’honneur sur lequel sont inscrites ses victoires ; aussi va – t – il essayer de se rapprocher du maître. On le voit plus souvent à la Malmaison, où Joséphine le traite avec son affabilité coutumière. De son côté, Bonaparte, qui a toujours de la considération pour le talent, se montre aimable, il parait avoir oublié ses griefs. L’ordre de la Légion d’Honneur venant d’être instituée, Masséna sera fait Grand Officier : le plus haut grade, celui de Grand Aigle ne sera créé que sous l’Empire. En 1803, doivent avoir lieu les élections au Corps Légilatif. Le Premier Consul, par l’intermédiaire de Réal, engage Masséna à poser sa candidature. Il sera élu député de la Seine, le 28 juillet 1803 ; il conservera son mandat jusqu’au 31 décembre 1808.
L’Empire
Le vainqueur de Rivoli, qui s’était prononcé contre le Consulat à vie, et qui n’avait pas ménagé ses critiques à Bonaparte, accepta, sans broncher, la proclamation de l’Empire. Le 19 mai 1804, il est élevé à la dignité du maréchalat, cinquième dans l’ordre de promotion. Masséna a bien mérité cet honneur ; ses talents militaires, son courage, son autorité sont connus de tous. Sa désignation n’étonnera personne, elle sera indiscutée. Le 2 février 1805, il est fait Grand Aigle de la Légion d’Honneur et chef de la 14 ème cohorte. Le nouveau maréchal se reposait dans son château de Rueil, se remettant à peine d’une crise de goutte quand, le 30 août, lui parvient une lettre de Berthier, l’informant qu’il était nommé général en chef de l’armée d’Italie, et précisant que son départ pour Milan devait avoir lieu, le 14 ou le 15 fructidor, disons le 2 ou 3 septembre : c’est la fin de la disgrâce. Masséna prend son commandement à Milan, le 6 septembre. Ses instruction sont précises, il doit contenir les troupes de l’archiduc Charles afin de préserver le flan droit de la Grande Armée qui vient d’envahir l’Allemagne.
Le maréchal décide de franchir l’Adige et d’attaquer aussitôt les autrichiens. Après s’être emparé de Vérone, il livre à l’archiduc Charles, la sanglante bataille de Caldiero où les hommes se battent corps à corps. Devant la violence de l’artillerie ennemie, les premières lignes reculent. L’indomptable Masséna enfourche Sultan, son célèbre cheval noir, harangue ses soldats et, l’épée à la main, charge à leur tête ; puis il rentre dans la mêlée, à pied maintenant, et se bat comme un simple lieutenant. Perdu de vue par son état major, on le croit mort. Le combat a été dur, il reste indécis, mais les français peuvent être fiers, ils ont lutté contre des forces deux fois supérieures : 24 000 contre 49 000. Le lendemain matin, l’archiduc Charles retire ses troupes. Masséna lui court dessus, harcèle son armée, et parvient jusqu’aux portes de l’Autriche : là, il apprend la victoire d’Austerlitz. L’ancien jacobin, devenu courtisan, écrit à l’Empereur, une lettre qui révèle sa platitude : « … Permettez moi d’offrir à Votre Majesté le respectueux hommage des accents d’admiration et d’enthousiasme qui retentit dans toute l’armée d’Italie… Il est réservé à Votre Majesté de vaincre sous tous les climats… Je suis avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté Impériale et Royale, le très humble et très obéissant serviteur et sujet « .
Le 11 décembre 1805, Masséna est nommé commandant en chef du 8 ème Corps de la Grande Armée. Le 28, Napoléon l’envoie en Italie pour y commander en chef, l’armée de Naples. Masséna se met aussitôt en route et prend la direction de ses troupes, à Bologne, le 9 janvier 1806. Une déception l’attend, cependant : il est placé sous l’autorité de Joseph Bonaparte qui tient, en cette circonstance, le rôle de lieutenant de l’Empereur. Les deux hommes se rencontreront à Rome où ils resteront quelques jours. Ensuite, le maréchal passe à l’action et envahit le royaume de Naples. Il s’empare de Capoue et entre dans la capitale avec Joseph, que son frère a fait roi de Naples, le 30 mars. Toutefois la conquête n’est pas complète, il reste un point de résistance à Gaète, où une garnison de 3000 hommes supporte courageusement un siège depuis le 12 février. Le général Reynie, qui dirige ce siège, ne peut envahir la place, son artillerie étant insuffisante. Le roi Joseph envoie Masséna pour en terminer, celui – ci emmène avec lui 80 canons : le 19 juillet Gaète capitule. Masséna va maintenant diriger son armée sur la Calabre où des bandes harcèlent les troupes françaises par une guerilla sans merci. Cette expédition se soldera par un succès complet, les chefs de bande sont faits prisonniers et exécutés ; les anglais, qui avaient débarqué une division en Calabre, sont battus à Sinopoli et chassés du territoire.
Quel dommage, que pendant cette brillante campagne, l’incorrigible Masséna, se soit encore livré à d’énormes détournements de fonds destinés à l’armée. Conscient de la position délicate dans laquelle il se trouve, le maréchal prend les devants et sollicite son retour à Paris. Napoléon, qui va devoir faire face à la cinquième coalition, remet à Masséna le commandement du 5 ème Corps de la Grande Armée, en remplacement de Lannes malade. Le 15 juillet, il demande, à son tour, un congé pour raison de santé. Il se retirera dans son château de Rueil pour y prendre un repos bien mérité, auprès de sa femme et de ses trois enfants. Il est curieux que Napoléon laisse dans l’ombre un si prestigieux capitaine. Il ne fera pas appel à lui pour les campagnes de Prusse et de Pologne. Pourtant, il ne l’oublie pas ; quand, en 1808, il anoblit 17 maréchaux, Masséna reçoit le titre de duc de Rivoli.
C’est à cette époque, que ce grand soldat qui, malgré sa bravoure et sa témérité, ne reçut jamais la moindre blessure, et il n’en recevra jamais, fut victime d’un accident de chasse qui aurait pu lui coûter la vie. Lors d’une battue à Fontainebleau, au mois de septembre 1808, le maréchal Berthier tire un coup de fusil malheureux dont les plombs atteignent l’oeil de Masséna. Heureusement, le docteur Corvisart se trouvait là : il le soigne aussitôt. A quelques millimètres près, la blessure était mortelle. L’oeil sera sauvé, il n’en résultera qu’une paralysie temporaire des muscles palpébraux. La période d’oisiveté touche à sa fin. Une cinquième coalition est formée contre la France. La Grande Armée va s’engager dans la deuxième campagne d’Autriche. Le duc de Rivoli reçoit, le 23 février 1809, le commandement du Corps d’observation de l’armée du Rhin devenu, le 11 avril, le 4 ème Corps de l’armée d’Allemagne. Napoléon dirige Masséna sur Landshut pour y couper la retraite des autrichiens de Haler. Le maréchal occupe cette ville, débloque ensuite Passau et, au prix de lourdes pertes, s’empare du pont et du château d’Ebersberg.
Pendant cette campagne, Masséna va se surpasser : à Essling d’abord, à Wagram ensuite. L’Empereur lui confie le secteur d’Aspern, tandis qu’il donne à Lannes celui d’Essling, en leur précisant de tenir coûte que coûte, afin de maintenir les deux ailes de l’armée. Masséna, face à l’archiduc Charles, tiendra toute la journée du 21 dans Aspem. Le lendemain, la lutte reprend pour la possession de ce village, les autrichiens le reconquièrent, on se bat avec acharnement : Aspem sera pris et repris quatorze fois pour finalement, rester aux français. Le duc de Rivoli a tenu la promesse qu’il fit à l’envoyé de Napoléon, lui demandant combien de temps il pouvait tenir dans Aspem : » Allez dire à l’Empereur que pour sauver l’armée, je tiendrai ici pendant deux heures, dix heures, vingt heures, aussi longtemps qu’il faudra « . Masséna qui a maintenant 51 ans, s’est battu comme un grenadier, prenant même le fusil en main pour galvaniser ses soldats. Parlant de lui, le général Lejeune, aide de camp de Napoléon, écrit dans ses Mémoires : » Pendant cette lutte acharnée, debout auprès des grands ormes qui sont sur la place de l’église, calme indifférent à la chute des branches que les boulets et la mitraille abattaient au dessus de sa tête, il veillait à tout et son regard et sa voix semblaient imprimer à ceux qui l’entouraient, une puissance irrésistible « .
Cette sanglante bataille d’Essling, où les deux armées ennemies subirent des pertes considérables, ne fut pas décisive. C’est à Wagram que, l’Empereur battra les autrichiens. La veille du combat, Masséna s’est blessé, son cheval ayant butté sur une racine, s’abattit et coinça Masséna désarçonné. Les blessures ne sont pas graves, contusion de l’os iliaque et deux plaies profondes à la cuisse : cependant, le maréchal ne peut marcher ; il n’en continue pas moins à assurer son commandement. Ne pouvant se tenir sur sa monture, il décide de se faire conduire dans un calèche attelée de quatre chevaux blancs ; C’est dans cet appareil qu’il dirigera ses troupes, indifférent aux boulets que tire l’ennemi sur cette magnifique cible ; à ses côtés, son aide de camp aura un bras emporté. Il parcourt ainsi son Corps en tout sens, dirigeant les opérations, se portant jusqu’aux avant postes. Il accomplira pleinement la mission que lui a confié Napoléon : tenir tête à l’ennemi. Sa participation à la victoire aura été des plus importantes. Autorisé à rentrer en France en novembre, le maréchal ira prendre quelques semaines de repos dans son château de Rueil. Le 31 janvier 1810, l’Empereur lui décerne le titre prestigieux de prince d’Essling.
Le guêpier espagnole
L’Autriche vaincue, Napoléon se penche sur le problème espagnol. Il est excédé par cette guerrre où nos troupes sont harcelées par les guerilleros, qui se livrent aux plus grandes atrocités, alors qu’il faut combattre, en même temps, les anglais au Portugal. Les maréchaux, livrés à eux mêmes, commettent fautes sur fautes. De plus, ils se jalousent, la mésentente règne parmi eux, ils rechignent à s’entraider. Après l’échec de Junot au Portugal, l’Empereur décide de le remplacer par le prince d’Essling. Confiant en son talent et à son autorité, il compte sur lui pour redresser la situation. Il le convoque aux Tuileries pour l’informer de sa décision. Masséna hésite, sa gloire n’a rien n’a gagner dans cette mauvaise affaire qu’est le guêpier espagnol . Il sait qu’il aura de la difficulté à commander ses chefs de corps : l’indiscipliné et irascible Ney, qui sera mortifié de se voir placé sous ses ordres ; Reynier, critique invétéré et généralement malheureux au combat ; enfin, Junot, courageux, ardent, excellent entraîneur d’hommes, mais peu capable de commander un corps. Masséna fait valoir tous ces arguments à Napoléon, or celui -ci est pressant et ferme ; le prince d’Essling est contraint d’accepter.
Il quitte Paris, le 29 avril, pour se rendre à Valladolid où il prendra, le 10 mai, la direction de l’armée de Portugal. Fraichement accueilli par ses chefs de corps, jaloux de son commandement, il sera mal accepté et pas mieux secondé. De violentes altercations l’opposeront à Ney ; Soult et même Bessières, se déroberont. Néanmoins, Masséna commence bien ses opérations. Le 10 juillet, il fait capituler Ciudad Rodrigo, il prend Almeida. Bien que repoussé par Wellington à Busaco, il oblige les anglais à se retirer derrière les lignes de Torrès Vedras qu’il assiégera, sans succès, pendant cinq mois. Le 6 mars 1811, Masséna doit battre en retraite vers la frontière espagnole. Les 3 et 5 mai, il livre combat à Fuente de Onore ; le résultat de cette bataille reste indécis, alors qu’elle aurait pu tourner en victoire, sans la mauvaise volonté de Bessières qui a refusé d’engager son artillerie. L’Empereur, déçu et irrité par cette guerre qui n’en finit pas, fait aviser Masséna de remettre son commandement à Marmont et de rentrer aussitôt à Paris. C’est une nouvelle disgrâce : elle sera définitive, le prince d’Essling n’obtiendra jamais plus de commandement d’armée. Napoléon, quand il le recevra aux Tuileries, lui reprochera durement, sa conduite des opérations. Il le rend responsable de tout, sans tenir compte de la carence de Ney, de Bessières et de Soult, qui sont les grands fautifs de l’échec de l’armée de Portugal.
Masséna est atterré, blessé dans son amour propre. Désabusé, il rentre à Rueil, le coeur gros. Il a maintenant cinquante deux ans, vieilli avant l’âge, il ressent les premiers symptômes de la maladie de poitrine qui l’emportera » L’enfant chéri de la victoire » a terminé sa glorieuse carrière.
Louis XVIII …
De sa résidence de Rueil, Masséna se rend fréquemment à Paris dans son hôtel de la rue Saint Dominique, s’occupant à dresser l’inventaire du produit de ses rapines, des véritables trésors qu’il a rapporté de tous les coins d’Europe. Une partie de son temps est aussi consacrée à adresser des lettres au ministre de la Guerre pour réclamer des sommes qui lui sont dues sur ses campagnes d’Allemagne et du Portugal. Sa santé s’est détériorée, la toux devient plus fréquente, il a des accès de fièvre, son entourage s’inquiète : Masséna, pensant que le climat méditerranéen lui sera plus favorable que celui de Paris, décide d’aller passer l’hiver à Nice. Ce séjour dans sa ville natale ne durera que trois mois. L’Empereur, par décret du 14 avril 1813, l’envoie à Toulon comme gouverneur de la place et commandant de la 8 ème division militaire. C’est à ce poste qu’il apprendra l’abdication de Napoléon et son départ pour l’île d’Elbe. Le prince d’Essling, plus par intérêt que par conviction, fait sa soumission à Louis XVIII qui le maintient au commandement de la 8 ème division, dont le siège est transféré à Marseille. Il s’absentera de la cité phocéenne pendant quelques jours pour se rendre à Paris présenter ses hommage au roi, et l’assurer de son dévouement. Louis XVIII, le reçoit avec bienveillance et lui témoigne sa satisfaction en le faisant commandeur de l’Ordre de Saint Louis. Masséna dont l’orgueil et la susceptibilité sont bien connus, s’estime lésé : il pensait recevoir, ensuite, le Grand Cordon de l’Ordre. Aussi n’hésite t ‘il pas, lui le maréchal d’Empire, prince d’Essling et duc de Rivoli, à s’abaisser devant le général comte Dupont, alors ministre de la Guerre, pour lui réclamer cette distinction ; il lui écrit une lettre qui définit bien sa servilité : » Monsieur le comte. J’ai l’honneur d’accuser à Votre Excellence, réception des lettre de Commandeur de l’Ordre Royal et Militaire de Saint Louis. Je vous prie d’en agréer mes remerciements. Je m’attendais à recevoir ensuite le Grand Cordon et la Croix, attendu que j’ai vu, pendant mon séjour à Paris, Sa Majesté les donner à ceux qu’Elle a daigné recevoir ; Veuillez avoir la bonté de ma les faire expédier « .
Après l’abdication de Napoléon, le comté de Nice retournera au roi de Sardaigne. Masséna, qui était né à Nice, n’était donc plus français. Il dut encore écrire au ministre de la Guerre pour obtenir ses lettres de grandes naturalisations. Elles lui seront remises le 31 août 1814. Le 3 mars 1815 : coup de théâtre ! Masséna apprend par le préfet du Var que, l’avant veille, Napoléon a débarqué au Golfe Juan. Il dépêche aussitôt le général Miollis vers Sisteron pour barrer la route à » l’usurpateur « . Miollis ayant deux jours de retard, ne pourra atteindre la troupe de l’île d’Elbe. Le 5 mars, Masséna reçoit Pons de l’Hérault, que Napoléon lui a envoyé de Digne, pour le rallier à sa cause. Le maréchal reste intransigeant ; il fait emprisonner Pons au Château d’If pour assurer sa sécurité, les fanatiques royalistes pouvant l’assassiner, comme ce fut le cas, plus tard, pour Brune. Le 9, Masséna fait paraître une proclamation aux habitants de Marseille, où il est dit, entre autre : » L’ennemi a passé avec trop de rapidité sur les frontières de mon gouvernement. Toutes les mesures de précautions que les circonstances prescrivaient de prendre, je les ai prises… Habitants de Marseille, vous pouvez compter sur mon zèle et sur mon dévouement. J’ai juré fidélité à notre Roi légitime. Je ne dévierai jamais du chemin de l’honneur. Je suis prêt à verser mon sang pour le soutien de son trône « .
Puis Napoléon
Le 20 mars, l’Empereur fait son entrée dans sa bonne ville de Paris. Reprenant les affaires en main, il charge Davout, ministre de la Guerre, de prévenir le prince d’Essling de se rendre en poste à Paris pour y recevoir les nouveaux ordres. Le 10 avril, trois semaines après sa proclamation de fidélité au roi, Masséna fait arborer le drapeau tricolore, et lance une nouvelle proclamation : » Un événement aussi heureux qu’extraordinaire nous a rendu le souverain que nous avions choisi : le Grand Napoléon… Ce doit être un jour de fête pour tous les français… Bénissons le ciel qui nous l’a redonné… Faisons des voeux pour la conservation de ses jours et de sa dynastie « . Aussitôt après ce revirement extraordinaire, Masséna part pour Paris. Napoléon l’accueille aimablement. Il ne veut pas le faire retourner à Marseille, car il y est devenu plus impopulaire qu’il ne l’était déjà, aussi bien chez les royalistes que chez les bonapartistes. L’Empereur lui propose le gouvernement des 4ème et 5ème régions militaires, qui comprennent la Meurthe, la Moselle et les Vosges. Masséna refuse cette offre, probablement à cause du rude climat de l’Est, si contraire à sa santé déjà bien ébranlée. Le 2 juin, il est nommé Pair de France.
Après Waterloo, le gouvernement provisoire lui confie le commandement en chef de la Garde Nationale de Paris, qui lui sera retiré au retour des Bourbons. Lors du procès de Ney, en novembre 1815, Masséna se récuse en invoquant leur mésentente pendant la campagne du Portugal. Cette récusation n’est pas acceptée. Néanmoins, il ne prendra pas part au procès ; comme ses camarades du Conseil de Guerre, il vote l’incompétence. Bien entendu, sa loyauté envers son ancien compagnon d’armes ne sera pas appréciée en haut lieu. Le 12 janvier 1816, un aide de camp du ministre de la Guerre remet au maréchal une lettre l’informant que le roi lui retire la 8 ème division de Marseille, où officiellement il n’a pas été remplacé, et ordonne qu’il ne lui soit plus payé aucune espèce de traitement. On lui reproche, entre autre, l’indifférence avec laquelle il a reçu les premiers avis du débarquement de Bonaparte, et d’avoir mis, sous son obéissance, la division militaire qui lui avait été confié par le roi. Les journaux des ultras se
déchaînent contre Masséna. On l’accuse, à la Chambre, de détournements de fonds. Clausel de Coussergues réclame des poursuites. Le maréchal fera publier une brochure pour se disculper et réfuter le calomnies qui portent atteinte à son honneur. Les brimades, les tracasseries, les diffamations, la suspicion dont il est l’objet, le remplissent d’amertume et ne peuvent qu’activer les progrès de la maladie de poitrine qui le consume depuis trois ans.
Retraite et décès
Masséna doit renoncer à toute activité. Il s’affaiblit chaque jour davantage. Il n’habite plus son hôtel Bentheim de la rue Saint-Dominique, il a loué au maréchal Mortier, l’hôtel de Montmorency, à l’angle de la rue Saint Dominique et du boulevard Saint Germain. Le prince d’Essling vivra ses derniers jours dans cette demeure. Le mal progresse, son médecin traitant, le docteur Brisset, qui le soigne avec dévouement, fait appeler en consultation le célèbre Lamec. Celui ci, après l’avoir longuement ausculté, déclare nettement qu’il n’y a plus d’espoir : c’est une question de jours, Masséna est condamné. Il s’éteint le 4 avril 1817 à l’âge de cinquante neuf ans, sans agonie, presque sans douleur, sur un canapé, après avoir mangé.
Les obsèques seront célébrées le surlendemain à l’église Saint Thomas d’Aquin. Le général Reille, son gendre, conduit le deuil avec Prosper Masséna, fils aîné du prince d’Essling. Dix maréchaux suivent le convoi, suivis d’une foule de généraux. Devant la tombe, au cimetière du Père Lachaise, l’oraison funèbre est prononcé par le général Thiébault, tandis que le colonel de Beaufort d’Hautpoul célèbre ses faits d’armes. Quand mourut Masséna, le gouvernement ne lui avait pas encore fait parvenir son nouveau bâton aux fleurs de lys, ce bâton qu’il est d’usage de placer sur le cercueil. Le général Reille le fit réclamer au général Clarke, ministre de la Guerre, qui ne daigna pas répondre à cette juste demande. Reille fit alors savoir au gouvernement que si le bâton n’était pas remis, il placerait sur la bière celui de maréchal d’Empire parsemé d’aigles. Dans la crainte d’un scandale, les autorités firent immédiatement parvenir le bâton fleurdelisé. On érigea sur la tombe un obélisque de marbre blanc portant le seul nom de Masséna.
Vie Familiale
Masséna, on s’en souvient avait épousé à Antibes, Rosalie Lamarre, fille d’un maître chirurgien. Le futur maréchal avait trente et un ans, Rosalie en comptait vingt-quatre. Quatre enfants naîtront de cette union : Elisabeth, qui ne vivra que quatre ans, en 1790 ; Prosper en 1793 ; Thérèse en 1794 et Victor en 1799. Rosalie n’était pas jolie, on peut penser que l’incorrigible coureur de jupons qu’était Masséna, l’épousa plus par intérêt que par inclination. A Nice, le musée Masséna possède une miniature représentant la maréchale vers la quarantaine. C’est une personne bien en chair à l’opulente poitrine ; la figure est pleine, le menton grassouillet : l’ensemble est lourd. La chevelure brune est agrémentée, si l’on peut dire, de ridicules accroches cœur qui donnent à sa figure une apparence vulgaire. Toutefois, madame Masséna devait avoir quelque agrément, puisque la duchesse d’Abrantès dit qu’à quarante cinq ans, elle était encore belle et fraîche. La maréchale souffrit certainement des aventures de son mari..
De tout temps Masséna avait eu des maîtresses, ce n’était que des passades, à quelques exceptions près. Mais voilà que vers la cinquantaine, le maréchal fut en proie au démon de midi, et se ridiculisa aux yeux de l’armée. Quand il partit outre Pyrénées pour prendre le commandement de l’armée de Portugal, il emmena avec lui la femme d’un capitaine : Henriette Leberton. Leurs relations étaient déjà anciennes, il avait d’abord été l’amant de sa jeune soeur. Pour ne pas éveiller l’attention de la troupe, il eut l’idée saugrenue de revêtir Henriette d’un uniforme de sous lieutenant, la poitrine ornée de la croix de Légion d’Honneur. La supercherie fut vite découverte, ne serait que par cette décoration accrochée sur un petit mamelon bien inhabituel sous un uniforme d’officier des armées impériales. Malgré ses frasques continuelles, Masséna n’en était pas moins un bon époux et un père attentif. Il avait une grande considération pour la maréchale qui, était irréprochable ; il la respectait et elle méritait bien cette estime. Sa bonté, sa modestie étaient proverbiales. Femme de coeur, elle se dévouait pour sa famille et ses amis. Comme la maréchale Lefebvre, elle ne se laissa jamais éblouir par les honneurs ; la Cour, les mondanités, ne l’intéressaient pas. Un défaut cependant : elle était d’une ladrerie à en remontrer à son mari ! Ce qui n’est pas peu dire, au point de lui reprocher ses dépenses. Cette femme de bien et de bon sens survivra douze ans à son glorieux époux. Elle s’éteindra à Paris, le 3 janvier 1829, dans sa soixante troisième année.
Quel dommage que la personnalité de ce grand capitaine que fut Masséna, soit ternie par de si graves défauts.Sa collusion avec les fournisseurs est bien connue, et l’on sait les énormes redevances qu’il exigeait des villes conquises et de leur notables. » C’était un voleur. Il était de moitié avec les fournisseurs « , écrit O’Meara à Sainte Hélène, citant Napoléon. Il se constitua un énorme trésor avec les razzias qu’il commit dans les musées, les églises et les châteaux européens. Sa soif de l’argent était insatiable, pourtant il était, d’après Berthier, celui des maréchaux qui touchait les plus grandes dotations : 933 375 francs. Malgré sa fabuleuse fortune, il était d’une avarice sordide, sa ladrerie autant que sa rapacité, étaient légendaires, à la Cour comme à l’armée. Laissons là, les travers de ce grand soldat, ne considérons que sa glorieuse carrière. Quel magnifique destin que celui de Masséna ! Qui aurait pu prévoir, à commencer par lui même, que le petit moussaillon, orphelin à six ans, commenderait des armées, deviendrait maréchal, duc et prince de l’Empire ? Il ne doit qu’à lui seul sa destinée. Il se l’ai faite par sa volonté, son autorité, ses talents et son courage. Il fut avec Davout, Lannes et Suchet l’un des plus capables maréchaux de Napoléon.
Ce brillant guerrier n’était pas un stratège, il conduisait le combat plus qu’il ne le préparait ; c’est devant le danger qu’il prenait ses décisions. Son coup d’œil était infaillible, il jugeait immédiatement ce qu’il y avait lieu de faire. Au fur et à mesure que le danger s’aggravait , ses idées s’éclaircissaient.
Citons ce jugement de Napoléon à Sainte Hélène, qui définit bien les qualités militaires du prince d’Essling : » Masséna avait été un homme très supérieur, qui par un privilège très particulier, ne possédait l’équilibre tant désiré qu’au milieu du feu : il lui naissait au milieu du danger « .
