Aigle impérial

Louis-Gabriel Suchet « Le maréchal de la guerre d’Espagne » (Lyon, 2 mars 1770 – Marseille, 3 janvier 1826, inhumé au cimetière du Père-Lachaise (division 39), duc d’Albufera, maréchal d’Empire (1811). Tout comme le Maréchal Davout, Suchet resta invaincu sur les champs de bataille.

 

Fils d’un soyeux lyonnais, il commence sa carrière en 1791 en s’engageant dans la Garde nationale. Il gravit rapidement les échelons jusqu’au grade de lieutenant-colonel et participe à ce titre à la première campagne d’Italie qu’il termine comme commandant de la 18e demi-brigade ; il occupe ensuite les fonctions de chef d’état-major en Helvétie et en Italie. Nommé général de division en 1799, il sert encore en Italie pendant deux ans. Sous le Premier Empire, il participe avec brio aux premières campagnes napoléoniennes à la tête d’une division.

 

En 1808, Suchet est envoyé en Espagne où il obtient rapidement le commandement de l’armée d’Aragon, avec laquelle il remporte une série de victoires contre les Espagnols. Excellent administrateur, et contrairement à la quasi-totalité de ses collègues, il consolide ses positions en créant une administration civile efficace et en pacifiant la région, s’attachant ainsi la population aragonaise. Il s’empare successivement des villes de Lérida, Tortosa et Tarragone — à la suite de quoi Napoléon l’élève à la dignité de maréchal d’Empire le 8 juillet 1811 — puis du royaume de Valence. Les défaites françaises dans le reste de la péninsule l’obligent cependant à se replier sur les Pyrénées.

 

Rallié aux Bourbons, il reprend du service sous les Cent-Jours avec le commandement de l’armée des Alpes ; il est cette fois disgracié par Louis XVIII à la Seconde Restauration mais est finalement rappelé à la Chambre des pairs. Seul maréchal à avoir gagné son bâton pour ses victoires en Espagne, ses talents militaires sont reconnus par Napoléon qui déclare à Sainte-Hélène que « s’il avait eu deux maréchaux comme Suchet en Espagne, non seulement il aurait conquis la péninsule, mais il l’aurait aussi gardée ».

 

Il est présent au siège de Toulon jusqu’au 18 décembre 1793. Lors de celui-ci, une colonne britannique de 2 000 hommes réalise une sortie afin de s’emparer des batteries françaises que Bonaparte a installées afin d’entamer les structures d’un fort. Les Britanniques sont contre-attaqués et repoussés à la baïonnette par les soldats français, lors du corps à corps, Suchet fait prisonnier le général britannique Charles O’Hara, le 30 novembre. Après la prise de Toulon, il participe avec son unité d’origine à la répression de l’insurrection royaliste dans le Sud-Est de la France. À la tête du 4e bataillon de volontaires de l’Ardèche, il participe ainsi aux massacres du village de Bédoin, le 28 mai 1794.

 

Au mois d’octobre 1803, Suchet est nommé commandant de la 4e division du corps du maréchal Soult, stationné au camp de Boulogne. En froid avec son supérieur, il demande à Joseph Bonaparte d’intervenir en sa faveur auprès de Napoléon pour obtenir une mutation, mais rejoint finalement son poste en novembre. Les troupes sous sa responsabilité comprennent cinq régiments d’infanterie articulés en deux brigades, auxquels s’ajoutent un régiment de cavalerie et l’artillerie divisionnaire. La 4e division cantonne aux abords du port de Wimereux, que Suchet s’attelle à agrandir pour y accueillir le nombre d’embarcations nécessaires au transport des troupes. Il améliore le confort de ses hommes en faisant construire des baraquements en pierre, et s’occupe également de faire paver certaines routes. Le général adhère à la proclamation de l’Empire le 18 mai 1804 et se rend plusieurs fois en congé à Paris au cours de l’année, sans assister cependant à la cérémonie du Sacre le 2 décembre.

 

En février 1805, toujours en étroite relation avec l’impératrice Joséphine, Suchet obtient grâce à elle le poste de gouverneur du palais de Laeken, près de Bruxelles ; la charge bien qu’honorifique s’accompagne d’un traitement annuel de 15 000 francs, que Suchet perçoit avec régularité jusqu’en 1813. Le 26 août, sa division est inspectée par l’Empereur qui le félicite et accepte de le transférer au 5e corps du maréchal Lannes. La 4e division, devenu la 3e depuis son changement d’affectation, quitte Boulogne le 2 septembre : elle forme l’avant-garde de la Grande Armée qui se dirige vers l’est pour affronter les Austro-Russes en Allemagne. Suchet participe à la manœuvre d’Ulm et, le 15 octobre, enlève les hauteurs de Michelsberg avec l’appui de la division Gazan et des grenadiers d’Oudinot. Il prend part à la bataille d’Hollabrunn le 16 novembre. Lors de la bataille d’Austerlitz le 2 décembre, la division Suchet forme l’extrême-gauche de l’armée française face au corps russe du prince Bagration. Elle se compose du 17e léger (brigade Claparède), des 34e et 40e de ligne (brigade Beker) et des 68e et 88e de ligne (brigade Valhubert), à deux bataillons chacun.

 

La progression française démarre en milieu de matinée. La cavalerie russe tente de s’interposer mais est décimée par les tirs de l’infanterie de Suchet, tandis que les cavaliers de Walther et de Kellermann arrivent à la rescousse et repoussent les assaillants. Suchet, s’avançant en première ligne « en échelons, par régiments comme à l’exercice, sous le feu de l’artillerie russe », subit des pertes sévères face à trois régiments de mousquetaires soutenus par quelques pièces d’artillerie. Au sud, Caffarelli parvient à occuper les villages de Krug et d’Holubitz et oblique au nord afin de couper la retraite aux Russes. Face à la pression conjuguée des troupes de Suchet et Caffarelli appuyées par la cavalerie, Bagration doit de se replier sur la route de Brünn jusqu’à Welleschowitz, couvert par le feu opportun de l’artillerie autrichienne déployée sur les hauteurs. Au soir de la bataille, Napoléon invite Suchet à dîner. Il le récompense en l’élevant à la dignité de Grand aigle de la Légion d’honneur le 8 février 1806.

 

Dans la campagne de Prusse de 1806, il devient commandant de la 1re division du 5e corps sous Lannes début octobre. Sa division remporte le premier avantage à Saalfeld le 10 octobre. Elle commence l’attaque à Iéna le 14 suivant. Elle se signale de nouveau en Pologne, lors de la bataille de Pułtusk le 26 décembre. À Ostrolenka le 16 février 1807, la division Suchet (en compagnie des troupes des généraux Oudinot et Reille) affronte avec succès les Russes du général Essen. Le 24 février, il passe avec sa division sous les ordres de Masséna. Après la paix de Tilsitt du 9 juillet 1807, le général Suchet prend ses cantonnements en Silésie et commande le 5e corps qui est envoyé en Espagne l’année suivante. Il devient comte de l’Empire le 19 mars 1808.

 

Campagne d’Espagne

Le 2 octobre 1808, il est nommé commandant de la 1re division du 5e corps sous Mortier à l’armée d’Espagne. Unique maréchal à gagner son titre dans la péninsule, il réorganise les unités françaises sous son commandement, établit une discipline sévère, administre sagement, ce qui lui donne l’affection des Espagnols. Suchet est par ailleurs le seul des chefs français à réussir complètement la pacification de la zone dont il est chargé. Il se distingue par une série impressionnante de menées à la tête de l’armée d’Aragon. Le 20 décembre 1808, la division Suchet ouvre le siège de Saragosse, sur la droite de l’Èbre, où elle obtient des succès jusqu’à la reddition de la ville le 21 février 1809. Nommé le 5 avril 1809, général en chef du 3e corps (armée d’Aragon) à la place de Junot, et gouverneur de cette province.

 

Le jour de son arrivée au commandement, le général espagnol Joaquín Blake y Joyes se présente avec 25 000 hommes devant Saragosse. Les troupes espagnoles chassent la garnison française d’Alcañiz et s’y retranchent. Suchet se porte à leur rencontre le 23 mai. Les premiers affrontements sont indécis ; les Français avancent sous un feu nourri tandis que la cavalerie espagnole est taillée en pièces par son homologue française. Suchet envoie l’infanterie du général Fabre contre la forteresse afin d’emporter la décision, mais elle est décimée par l’artillerie espagnole9. Ce dernier échec force pour la première fois Suchet au repli, après avoir perdu environ 1 500 soldats tués ou blessés. Quelques jours plus tard, le 15 juin, il prend sa revanche sur Blake à Maria. Les troupes françaises dispersent rapidement les soldats espagnols et les poursuivent, leur infligeant des pertes de 1 200 tués, 400 prisonniers, 25 canons et 3 drapeaux. Le 18 juin Suchet complète la défaite de Blake à Belchite, où l’action coordonnée de son infanterie et de sa cavalerie (4e régiment de hussards et lanciers de la Vistule) met les Espagnols en déroute. Ces derniers laissent 800 hommes sur le terrain et abandonnent aux troupes françaises 4 000 prisonniers, 9 pièces d’artillerie et un drapeau. Ces succès renversent le projet des Espagnols de se porter sur les Pyrénées. L’administration juste et modérée de Suchet, son impartiale intégrité envers les habitants auxquels il conserve leurs emplois, sa protection particulière pour le clergé, sa sévérité sur la discipline, lui attachent les Aragonais et lui créent des ressources.

 

Au milieu de la disette générale, son armée devient florissante, et après une marche sur Valence, en janvier 1810, elle commence ses mémorables campagnes. Le 1er mars 1810, Suchet remporte la victoire lors du combat du pont d’Alventosa, occupe Segorbe le 3 mars et échoue à Valence courant mars. Lérida, écueil des grands capitaines, tombe la première en son pouvoir le 14 mai 1810, après une victoire complète remportée sur le général O’Donnel à Margalef le 13 avril, sous les murs de la place. Les troupes de ce dernier, voulant secourir les assiégés, sont rompues sous les charges des cuirassiers français et se replient en désordre12. Mequinenza est forcée de capituler le 8 juin 1810, Tortose ouvre ses portes le 2 janvier 1811, après 13 jours de tranchée ouverte, le fort San Felipe, au col de Balaguer, est pris d’assaut le 9 janvier suivant. Tarragone, la Forte, succombe le 28 juin après 55 jours de siège, ou plutôt d’une continuelle et terrible bataille, en présence et sous le feu de l’escadre britannique, de ses troupes de débarquement et de l’armée espagnole de Catalogne. Il prend Montserrat le 24 juillet. Le bâton de maréchal d’Empire est le prix de cette campagne : Napoléon le lui octroie le 8 juillet 1811.

 

Le 16 septembre 1811, le maréchal ouvre la campagne de Valence en mettant le siège devant Sagonte. Il occupe Murviedro le 27 septembre. Les forts de l’antique Sagonte, qui couvrent cette capitale, relevés à grands frais par les Espagnols, l’arrêtent. La garnison de Sagonte a repoussé deux assauts. La ville continue d’être battue en brèche : Blake sort de Valence avec 30 000 hommes pour la secourir, et est défait totalement, à Puebla de Benaguasil le 1er octobre. Oropesa est assiégée et prise le 11 octobre. Sagonte capitule le 25 octobre, le maréchal y est blessé à l’épaule par balle. Le 26 décembre, ayant reçu le corps de réserve de La Havane, et sans attendre les divisions du Portugal, il passe le Guadalaviar, investit Valence, presse le siège et le bombardement, et force Blake à capituler le 9 janvier 1812. Le 10, les Espagnols au nombre de 17 500 hommes d’infanterie et 1 800 de cavalerie, se rendent, et Valence est occupée. Le 19 janvier le fort de Dénia et le 4 février la place de Peñíscola tombent en son pouvoir, et complètent la conquête du royaume de Valence.

 

Le 24 janvier 1812, il est duc d’Albuféra et gouverneur du pays de Valence. Après divers engagements victorieux, contre le général Enrique José O’Donnell et l’armée espagnole, il subit une défaite à la bataille de Castalla le 13 avril 1813. Après avoir reçu à Valence en avril, le commandement de l’armée d’Aragon et de l’armée de Catalogne, il réunit ces deux armées pour marcher contre l’armée britannique. Le maréchal fait le 12 juin 1813, lever le siège de Tarragone, entrepris depuis le 2 juin par le général Murray qui doit rembarquer ses troupes à la hâte et y perd toute son artillerie.

 

La retraite de l’armée française au-delà des Pyrénées après la bataille de Vitoria le 21 juin, l’oblige à évacuer Valence le 5 juillet, dix-huit mois après la reddition de cette ville. Il laisse des garnisons à Dénia, Sagonte, Peniscola, Tortose, Lérida et Mequinenza approvisionnées pour plus d’un an. Le 12 septembre, au col d’Ordal, son infanterie emporte les redoutes occupées par les troupes anglaises sous le commandement de lord Bentinck tandis que la cavalerie française, poursuivant l’ennemi le 13 septembre, s’empare du village de Vilafranca avec l’aide d’un bataillon d’infanterie et repousse les forces ennemies qui s’y sont rassemblées. Suchet se retire de Tarragone le 15 août. Il est nommé gouverneur de la Catalogne le 15 novembre. Suchet est alors nommé colonel général de la Garde impériale le 18 novembre, en remplacement du maréchal Jean-Baptiste Bessières, qui vient de trouver la mort dans un combat près de Weissenfels. Le duc d’Albuféra occupe pendant six mois la Catalogne.

 

Vingt mille hommes lui ayant été demandés pour la France en janvier 1814, il se rapproche alors des Pyrénées. Malgré la faiblesse de son armée, réduite à neuf mille hommes, Suchet persiste à rester en Espagne pour assurer la rentrée de 18 000 hommes de garnison, et surtout pour empêcher l’ennemi d’envahir la frontière. Il est encore vainqueur à Molino del Rey le 15 janvier 1814. Le 24 mars 1814, il reçoit Ferdinand VII, à qui Napoléon a rendu sa liberté par le traité de Valençay en échange d’une promesse de neutralité qu’il ne tiendra pas. Suchet remet le roi à l’armée espagnole du général Francisco Copons y Navia. Il évacue la Catalogne en avril 1814. La frontière des Pyrénées-Orientales reste inviolée jusqu’à la chute de l’Empire. Il est nommé le 22 avril commandant en chef de l’armée du Midi.

 

Première Restauration

Instruit officiellement de l’abdication de l’Empereur, et croyant voir le vœu de la nation dans ce décret du Sénat, rallié à la Restauration, il fait reconnaître Louis XVIII par l’armée dont le gouvernement royal lui conserve le commandement. De retour à Paris, il est nommé pair de France le 4 juin 1814, gouverneur de la 14e division militaire à Caen, le 21 juin et commandeur de Saint-Louis le 24 septembre, puis, le 30 novembre, gouverneur de la 5e division à Strasbourg. Tant que les Bourbons demeurent sur le territoire français, le duc d’Albuféra reste fidèle au serment qu’il leur a prêté et maintient les troupes dans l’obéissance : resté sans ordres ni instructions du gouvernement royal, et jugeant, par les premiers actes du congrès de Vienne, que les forces étrangères se disposent à envahir la France.

 

Pendant les Cent-Jours, il est nommé commandant le 5e corps d’observation à Strasbourg le 26 mars 1815. Le maréchal se rend à Paris le 30 mars, dix jours après l’arrivée de Napoléon Ier, pour recevoir de nouveaux ordres. Il reçoit le 4 avril celui de se rendre à Lyon pour y rassembler une armée. Suchet se voit confier le commandement du 7e corps appelé l’armée des Alpes le 26 avril. Il dispose en tout de deux divisions d’infanterie, six escadrons de cavalerie, un peloton de la gendarmerie et de 42 canons, pour un total d’environ 9 000 hommes. Il est nommé, le 2 juin suivant, membre de la chambre impériale des pairs.

 

À la tête de ces nouvelles troupes, il se porte vers les Alpes et, malgré l’inexpérience de ses troupes composées pour la plupart de gardes nationaux et le manque de chevaux, envahit la Savoie le 14 juin ; bat les Piémontais le 15 juin, et quelques jours après les Autrichiens à Conflans. L’arrivée de la principale armée autrichienne à Genève l’oblige à quitter la Savoie et à se replier sur Lyon le 30 juin.

 

Après Waterloo

Informé le 11 juillet de la défaite de Waterloo18, le duc d’Albuféra négocie le 12 juillet avec les Autrichiens une capitulation honorable qui, en sauvant sa ville natale, conserve à la France pour dix millions de matériel d’artillerie. Le même jour, il envoie trois généraux pour annoncer au roi qu’il est reconnu par l’armée : à cette occasion, Louis XVIII confirme son commandement.

 

Exclu de la Chambre des pairs par l’ordonnance du 24 juillet 1815, au moment de l’épuration des personnes les plus compromises avec le régime précédent, le duc d’Albuféra est rappelé dans cette chambre par une ordonnance du 5 mars 1819. Malgré ses espérances, il ne participe pas à l’expédition d’Espagne de 1823.

Il meurt à Marseille le 3 janvier 1826. Sa dépouille est transportée à Paris. Il repose au cimetière du Père-Lachaise (division 39). À Sainte-Hélène, Napoléon déclare que « s’il avait eu deux maréchaux comme Suchet en Espagne, non seulement il aurait conquis la péninsule, mais il l’aurait aussi gardée ».

Le nom de « SUCHET » est gravé au côté Ouest (33e colonne) de l’arc de triomphe de l’Étoile, à Paris.

Sabre Briquet